En politique, « idéologie » est depuis longtemps devenu un gros mot, capable de décrédibiliser n’importe quel discours. Pourtant, loin de faire des militant-e-s des petits soldats à la solde de leur parti, l’idéologie apporte de la cohérence et des bases solides à notre pensée. Alors ne nous cachons plus et lâchons ce cri du cœur : Vive l’idéologie !
« Mais tu dis ça parce que tu es écolo ! » Quel-le militant-e écologiste ne s’est jamais entendu-e répondre cette phrase, lors d’un débat en famille ou entre amis. Ou une phrase commençant par « Vous les écolos… » (ou les féministes, les gauchistes, les végétariens…) et se terminant invariablement par un affreux cliché. Ces poncifs sont révélateurs du discrédit dans lequel sont tombés l’engagement politique et l’idéologie. Tout discours militant est rejeté en bloc, et celui qui le défend soupçonné d’être un petit soldat, lobotomisé par son parti et incapable de penser par lui-même. Comme à la bonne vieille époque où le Kremlin dictait point par point au Parti communiste ce qu’il devait penser et dire.

On en arrive à la situation ubuesque où la même opinion sera plus convaincante si elle est balancée à l’emporte-pièce par une personne totalement dépolitisée que si elle l’est par une militante aguerrie et spécialiste de la question. Où on évitera de faire une blague sexiste, non pas parce qu’elle est sexiste, mais pour ne pas s’attirer les foudres de la féministe en présence. Et où l’on se sentira censuré, sans avoir prêté attention à son discours.
Mais comment a-t-on pu en arriver là ?
« La fin de l’histoire » ? Mon cul !
D’abord, parce que les discours politiques ont perdu en légitimité. Comment croire en la politique lorsqu’un président élu en proclamant « mon ennemi, c’est la finance » nomme un Premier ministre se proclamant « pro-business » à la City de Londres, temple européen de la finance ? Comment y croire lorsqu’une camarade des Jeunes écolos me raconte qu’un jeune militant d’une autre formation se préparait à un débat en se faisant dicter des « mots d’ordre » par son parti ?

Mais allons plus loin. Si ces discours ne sont plus crédibles, ne serait-ce pas aussi parce qu’ils disent tous la même chose ? Hélas. Le slogan thatchérien There is no alternative n’a jamais autant structuré les discours politiques de tous bords. Souvenons-nous : en 1992, l’Américain Francis Fukuyama proclamait la « fin de l’Histoire ». Le libéralisme avait gagné, et les prochaines décennies promettaient le triomphe de la démocratie libérale et la fin des guerres partout dans le monde. Ben voyons. Vingt-cinq ans après, on ne sait pas si l’on doit en rire ou en pleurer.
Pourtant, Fukuyama avait vu juste dans un sens : oui, le libéralisme a gagné. Dans les têtes. C’est une idéologie si puissante qu’on ne voit même plus que c’en est une. À l’« idéologie » présumée des autres, elle oppose son « pragmatisme ». Expression qui sert trop souvent à masquer une acceptation de l’ordre établi, voire un vide abyssal de la pensée politique. Sans idéologie, on picore, à droite, à gauche, sans cohérence, sans horizon. Pour, au final, faire la même chose que tous les autres. Tony Blair, incarnation parfaite de ce renoncement, l’a résumé mieux que quiconque, en proclamant : « Il n’y a pas de politique économique de droite ou de gauche, il n’y a que des politiques économiques qui marchent et d’autres qui ne marchent pas. »

Dans ce contexte, tout discours alternatif un peu trop structuré est qualifié, au mieux d’utopique, au pire de dangereux. Changer le système ? Ça ne marchera pas, vous dit-on ! Alors, on n’a plus qu’à accepter notre impuissance et à se contenter d’une politique de comptables.
L’idéologie, c’est sexy
Et bien non. En tant que militant-e-s, nous devons réhabiliter l’idéologie. Pour cela, il faut d’abord jouer au jeu de la paille et la poutre. Montrer la poutre que les libéraux ont dans l’œil quand ils pointent la paille dans le nôtre. Vous n’avez d’ailleurs jamais remarqué que les personnes qui commencent leurs phrases par « Vous les écolos… » soit bien souvent les mêmes à se plaindre de la division à EELV ? Alors, faudrait savoir ! On dit tous la même chose ou pas ?
Et une fois la poutre libérale bien mise en évidence, montrer que nous sommes à des années-lumière des discours appris par cœur pour les plateaux télé. Que l’idéologie, c’est la pilule rouge de Matrix : ce qui nous fait voir la structure que l’on n’avait jamais vue avant. Que loin de nous empêcher de penser par nous-mêmes, elle nous permet de mieux appréhender cette société pour, lorsque l’on est de gauche, mieux la critiquer.
Alors ne nous cachons plus, et proclamons-le haut et fort :
Vive l’idéologie !
Et on se voit aux journées d’été.