Sommes-nous des moutons?
Nous avons tous en tête cette séquence du film burlesque de Charlie Chaplin, « Les Temps Modernes », dans lequel ce dernier fait un parallèle entre les moutons et les hommes. Cette comparaison entre l’animal et l’Homme n’est d’ailleurs pas sans rappeler que dans son premier recueil de Fables, La Fontaine écrit « je me sers d’animaux pour instruire les hommes. » Humaniser des animaux et animaliser l’humanité n’est pas un simple jeu de l’esprit mais un moyen de prendre l’animal pour miroir de nous même, d’éveiller la critique, de remettre en question nos certitudes et d’amener à la réflexion…
La séquence imagée du film de Chaplin datant de 1931 peut être transposée à notre siècle qui se veut prétendument moderne, éclairé et libertaire mais dont les influences extérieures nous conditionnent à consommer à outrance et à nous détacher de notre nature d’Humain. Ainsi la publicité est un vecteur d’une grande influence dans la société dite de « communication » qu’est la nôtre. Elle irrigue tant nos télés que nos pages internet, exerçant ainsi un matraquage inconscient sur nos esprits en façonnant nos modes de pensées. Dans les publicités, il est d’accoutumé d’esthétiser le produit à vendre et d’infantiliser le spectateur. Les poules en batterie y sont tellement contentes qu’elles dansent le frenchcancan, les vaches si heureuses qu’elles posent teintées de violet ou de rouge pour des chocolats ou des fromages, arborant un sourire complice.
Derrière cette image lisse et ubuesque se cache en réalité un tout autre constat. Selon la FAO (Food and agriculture organisation of the United Nations), 45 milliards de poules sont tuées dans le monde chaque année, à la suite, pour la grande majorité d’entre elles, d’un élevage sordide en batterie. Le même sort est réservé à 1,2 milliards de cochons, tués à la chaîne, tout comme 292 millions de vaches et veaux. Ce génocide animal aux yeux et sus de tous à des conséquences catastrophiques tant sur le plan environnemental qu’humain et sur l’idée que l’on peut se faire d’ « Humanité ».
De plus, 15 000 litres d’eau sont nécessaires pour produire un seul kilo de viande, pour 1 tonne de blé, il faut utiliser en moyenne 1.000m3 d’eau, soit l’équivalent d’un million de bouteilles. En France, 80% des céréales servent à nourrir le bétail et non pas à l’alimentation humaine. Alors que dans le même temps, d’après la FAO, un enfant meurt de faim toutes les 6 secondes dans le monde, soit plus de 5 millions d’enfants morts chaque année. D’ailleurs, Jean Ziegler, rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation des populations au Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies (de 2000 à 2008) a qualifié de “crime contre l’humanité” le fait d’abandonner les cultures vivrières au profit des biocarburants et d’une alimentation à grande échelle d’animaux destinés à l’abattage. Il a ainsi déclaré « étant donné l’état actuel de l’agriculture dans le monde, on pourrait nourrir 12 milliards d’individus sans difficulté. Pour le dire autrement, tout enfant qui meurt de faim est en réalité assassiné ».
L’Homme s’est arrogé le droit de séparer l’humanité de l’animalité alors qu’en respectant toutes les autres formes de vies, il gagnerait justement en Humanité ! D’ailleurs, comme le soulignait l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, stopper cette barbarie envers les animaux stopperait dans le même temps les massacres entre humains au nom d’une prétendue religion, civilisation ou de conflits d’intérêts tels que ceux concernant les territoires. Gandhi n’a-t-il pas affirmé : « on peut juger de la grandeur d’une nation par la façon dont les animaux y sont traités » ?
Alors, à la question « sommes-nous des moutons? », d’un point de vue anatomique la réponse est « oui », nous sommes tout comme eux des mammifères herbivores. En effet, notre constitution est résolument différente de celle des carnivores ou des omnivores et cela expliquerait peut-être pourquoi nous voyons se développer tant de maladies avec notre régime carné. Contrairement aux carnivores, dont la dentition est pointue avec des canines longues et tranchantes, faite pour déchirer la chair animale, la dentition des êtres humains est semblable à celle des herbivores. Mais du point de vue de l’imaginaire communément admis des moutons, il est permis de choisir quel genre de mouton être ou devenir, en commençant par cesser de penser mécaniquement. En effet, une remise en question de nos certitudes au sujet du bien fondé de la consommation de chair animale, qui souvent résulte d’un fort conditionnement tant familial que culturel, permettrait de crier haut et fort : « Je suis un mouton noir ! »