L’article suivant est plein d’espoir sans illusion ; celui de vous convaincre que le monde absurde dans lequel nous vivons n’est pas une fatalité. Dire qu’il n’y a plus rien d’autre à faire que de tirer le maximum de profit de ce qu’il reste à la Terre et que l’Humanité peut bien disparaître, sans que cela ne soit une grande perte, c’est s’installer dans le confort intellectuel déresponsabilisant du « de toute façon y’a rien à faire, et puis ça fait quoi que l’espèce humaine disparaisse au fond ? ». Que beaucoup se moquent de savoir que la mouette ivoire et l’ours blanc n’existeront bientôt plus peut se comprendre; mais fermer les yeux devant l’évidente nécessité de repenser notre système de vie est injustifiable et devrait tous nous empêcher de dormir.
Ces lignes sont écrites à l’heure où l’association Forum de l’Ecole Nationale de la Statistique et de l’Administration Economique reçoit PwC, cabinet d’audit. L’objectif est de présenter aux étudiants des perspectives de futurs emplois. On leur promet un avenir doré, où résonne un vocabulaire claquant, carré, tout propre, en accord avec la grisaille triste du business luisant du sourire colgate et du gel qui tient le chignon et les cheveux de ses fidèles. Pourquoi se rendre à un tel événement ? Pour penser sa carrière, se fixer un horizon rassurant vers lequel il a été démontré que notre école se charge de nous dérouler le tapis rouge. Aller en cours bien sagement, dans la sérénité confiante d’en connaître l’utilité, celle de nous donner les clefs pour se construire un avenir, une carrière. Quelle illusion… Elle appartient au passé récent des cent cinquante dernières années durant lesquelles s’est bâti le système capitaliste occidental, qui faisait croire au « progrès », et ce à une vitesse exponentielle . Faire carrière alors, c’est se plier aux codes, s’inscrire dans le délire bourgeois du profit destiné à apporter le bonheur individuel dans le « respect » des valeurs traditionnelles. On croit que chacun est libre de réussir, que son dû, c’est-à-dire son revenu, est proportionnel au nombre des plis de ses manches retroussées. La logique est rassurante. On se conforte dans la pensée simple de la méritocratie et de la supériorité culturelle.
Aujourd’hui, nous voyons le mur vers lequel l’Homme a choisi de s’engager au début de l’ère industrielle, on ne peut plus accuser l’ignorance, le manque de preuves. Il faut appuyer sur le frein, et développer des airbags. Si nous choisissons d’accélérer pour jouir un dernier coup de la vitesse grisante, et dire alea jacta est (« les dés sont jetés ») pour le reste, nous prenons un risque et commettons un crime. Le premier, celui de ne pas si bien jouir que cela (il n’y a qu’à essayer de compter le nombre de sourires non imputables à l’alcool dans les grandes écoles pour s’en rendre compte). Le deuxième, celui de notre Humanité dans son expression la plus large ; dans son Histoire, sa culture, ses civilisations, ses êtres exceptionnels et tellement ordinaires qu’ils en sont beaux et nous ont construits. Nous vivons grâce à nos ancêtres, sur 600 000 ans d’Histoire, et nous serions incapables de changer pour les 30 ans qui viennent ?
C’est un appel à l’intelligence des consciences, qui valent mieux que la peur et le repli sur soi que nous proposent les prétendus hommes providences et les populismes en fait esclaves de ce qu’ils croient combattre: l’individualisme capitaliste et faussement cosmopolite. Ne nous laissons pas bercer. « Oui mais je bosse pour une entreprise qui est éco-responsable, je fais de la finance vert ». Ça veut dire quoi ? Simplement que l’on croit pouvoir modeler l’exigence de responsabilité et d’éthique respectueuse de notre environnement sur la statue en or massif de notre rêve de luxure. Car au fond, il n’y a que cela ; l’envie, le désir pulsionnel de l’instant, l’argent, l’image, le sexe, sous couvert d’une prétendue quête de sens déguisée en spiritualité, destinée à calmer nos nervosités, et notre peur. C’est tellement absurde que notre génération, en est à se prendre la tête dans les mains sous la torture de ses questions métaphysiques. Je généralise sans doute, mais que celles et ceux qui s’en croient épargnés fassent l’effort d’une introspection profonde et lisent les journaux. C’est tellement absurde, mais notre génération en a de plus en plus conscience, et dévoile une énergie et une pensée qui dépassent les notions de frontière et de culture et ne sont pas réservées à une élite.
Nous ne sommes pas BOBOS, car nous pensons global. Nous ne sommes pas déracinés, car nous agissons local. Nous ne sommes pas perdus, car nous avons un cap. Nous sommes à la fois idéalistes et réalistes. Notre combat à nous, ce n’est plus la France Libre, la chute du mur de Berlin, la fin des Privilèges, ou la Révolution sexuelle. Notre combat à nous, c’est la survie de notre Monde. On est plein d’espoir, et, nous aussi, nous aimons danser et nous enivrer; profiter de notre jeunesse. Nous ne renions pas notre passé, nous l’aimons tellement que nous voulons qu’il soit raconté par nos arrière-petits-enfants. Nous lisons Descartes, et Mallarmé, nous apprenons l’artisanat de nos grands-parents, nous pleurons sur les tombes de Johnny et de Mandela. Mais nous répondons à l’appel du présent, aux cris des victimes mondiales de la folie de 1% des hommes.
Nous sommes la génération qui veut aller plus loin que penser l’écologie politique, celle qui agit pour elle et l’incarne déjà un peu au Parlement européen et lors des manifestations. On est la « génération climat », et nous allons être les héros de la rupture de l’anthropocentrisme qui est inévitable. Engagez-vous, parlez, incarnez ; vous vivrez mieux et plus heureux.
Jeune Ecologiste
Par Séverine Huille.
Magnifique ! Beaucoup de vérités, tant de clairvoyance, aujourd’hui plus qu’indispensable.
Bravo et merci pour cet article !
J’aimerais que ces mots soient les miens… Qu’on ouvre les fenêtres pour les laisser entendre. Que les étudiants chantent pour les voir se répandre dans une danse folle. Seulement, ce qu’ils décrivent est juste et cri malheureusement la crainte et la calamité plutôt que l’espérance.
Car oui, la logique des Grandes Écoles est rassurante et leur système carriériste enivrant. Oui, le discours poncé des cabinets d’audit laisse sur les lèvres des étudiants le goût sucré de la réussite sociale, de la vitesse et du luxe. Oui, leurs moues dociles se laissent bercer dans des discours creux remplis de grands concepts acidulés comme l’éthique et la responsabilité environnementale. Et oui, ces mêmes étudiants dont les mines sont grisées devant les opprobres qui sont faites aux abus du monde capitaliste arborent un sourire ardent quand ils arrachent férocement le papier luisant de plastique qui gît sous leurs sapins fendus et enrobe leurs nouveaux jouets sophistiqués. Car, confortés dans l’idée que la méritocratie les a mené sur les bancs d’où ils regardent le monde d’un illégitime sentiment de supériorité, ils croient savoir, croient agir et avertir, en restant silencieux…
Autant de oui et de constats funestes pour dire que non, vous ne sauverez pas le monde. Que si ce discours était sans illusion, l’espoir y laisserait place à l’angoisse et à l’égoïsme. Car au grand banquet des idées, les parfums délicats de l’individualisme primeront toujours sur l’âcreté du bien commun.
Et ces mots qui devraient ouvrir les portes à la frugalité, les étudiants les lisent, s’en délectent, et les oublient en replongeant leurs pensées dans des quantités acerbes de préoccupations moins engagées, moins grandioses et surtout, plus agréables à siroter…