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La réintroduction de l’ours dans les Pyrénées, pourquoi est-elle indispensable ?

Annoncée en avril dernier par Nicolas Hulot, alors Ministre de la Transition énergétique et solidaire et confirmée par son successeur, François de Rugis, la réintroduction des deux ourses semble être en cours dans les vallées haut-béarnaises. Si la nouvelle a été applaudie chez les écologistes, elle a été en revanche très mal accueillie chez certains éleveurs et bergers locaux, qui n’ont pas hésité à poser avec des armes, mettre en place des barrages filtrants et à fouiller les véhicules filant vers la montagne, afin d’empêcher la réintroduction.

Pourquoi cette annonce a-t-elle engendré une telle insurrection ? Les inquiétudes des éleveurs sont-elles légitimes ?

Questions posées à Eugène Reinberger, membre d’Europe Ecologie Les Verts (EELV) et du Réseau Ours Brun et à Jean-François Blanco, élu EELV à la Région Nouvelle-Aquitaine.

Un combat acharné

Présent en Europe dès 250 000 ans avant notre ère, l’ours est à la fois source de haine et de fascination depuis toujours. Diabolisé par l’église, il est chassé très tôt sans relâche et ce jusqu’en 1963. C’est à partir des années 70 avec la prise en compte de la considération écologiste que l’idée d’une préservation de l’espèce émerge. Trois ours sont d’abord réintroduits dans les Pyrénées dans les années 1990, puis 5 en 2006.

La cohabitation entre l’Homme et l’ours a toujours été compliquée, en témoigne la lente disparition de l’espèce et l’abattage de 2 ourses protégées : Claude en 1994 et Cannelle en 2004, la dernière ourse de souche pyrénéenne.

Les élus écologistes à la Région Nouvelle-Aquitaine ont fait de la réintroduction de l’ours une priorité de leur mandat. Leur démarche n’est pas restée vaine, car le 6 mars 2018, l’Etat Français est condamné par le Tribunal administratif de Toulouse pour n’avoir pas assez protégé l’ours brun dans les Pyrénées. Cette décision fut aussitôt suivie par l’annonce de Nicolas Hulot le 28 mars, déclarant son intention de réintroduire deux ourses à l’automne prochain.

Une promesse saluée par les écologistes mais aussitôt décriée par les diverses organisations et regroupements d’éleveurs et de bergers. La Fédération des bergers transhumants, les Jeunes agriculteurs de Nouvelle Aquitaine et d’Occitanie ainsi que la FDSEA 64, rejointe par les éleveurs d’Ariège ont alors décidé pour l’occasion de faire front commun contre cette réintroduction annoncée.

Source : La République des Pyrénées

Les actions anti-ours ont démarré, immanquablement accompagnées de dégradations. Les routes du Haut-Béarn ont été taguées la semaine dernière et la permanence des élus de gauche à Oloron Sainte-Marie a été vandalisée dans la nuit du 23 avril. Mais les anti-ours ne comptent malheureusement pas s’arrêter là…

Source : La République des Pyrénées

Une question de mentalités avant tout

A en croire les anti-ours (que l’on entend beaucoup à l’inverse des pro-ours), la guerre est déclarée. Les écologistes sont régulièrement insultés sur les réseaux sociaux et les pro-ours n’osent même pas s’exprimer. Pourquoi une telle hostilité ?

Les bergers et éleveurs locaux invoquent en priorité les dégâts qui seraient causés par la prédation des ours. Selon l’ONCFS, 154 attaques de brebis ont été recensées sur l’ensemble de la France en 2016 et 464 en 2017 (dont 260 dues à un décrochement). Des chiffres dérisoires à côté des 20 000 brebis environ qui meurent chaque année dans les départements pyrénéens au cours des estives. Les prédations liées à l’ours ont donc une incidence très faible dans la part des décès constatés sur les troupeaux. Rappelons d’ailleurs que les éleveurs sont indemnisés à hauteur de 250€ pour chaque brebis tuée par un ours, ce qui prouve que le pastoralisme vit notamment grâce aux aides allouées par la présence de l’ours.

Mais alors, cette hostilité serait-elle due à la peur ancestrale qui imprègne l’imaginaire collectif local ? C’est avant tout une question idéologique. La peur du loup est quant à elle réellement ancrée et donc beaucoup plus problématique. Le fait est que les éleveurs et les bergers qui sont contre la réintroduction de l’ours ne veulent pas partager leur territoire. L’Homme est un prédateur, ne l’oublions pas et il ne souhaite pas qu’un autre prédateur occupe son espace. Réintroduire des ours et vivre avec eux nécessite de changer les habitudes, d’autant plus que cette décision a été prise loin des campagnes.

Les ours des Pyrénées n’existent plus. Le seul spécimen qui a encore du sang pyrénéen dans les veines est Cannellito, le fils de Cannelle, qui n’a plus été aperçu dans la région depuis des mois. Alors à quoi bon « réintroduire des ours qui ne sont pas originaires des Pyrénées ? » entend-on souvent du côté des anti-ours. Parce qu’il s’agit de la même démarche. Un ours slovène ou roumain a le même génome que celui des Pyrénées. La protection des ours est inscrite dans la directive européenne « Habitat, faune, flore » de 1992. Chaque territoire accueillant une population ursine en est responsable. Il est question de la survie de l’espèce de manière générale. Largement favorable à l’établissement de l’ours, le biotope pyrénéen est un territoire qui leur permet de vivre et de se reproduire. La présence de l’ours est donc un indicateur de bon état du biotope. Protéger l’ours revient à protéger toute la biodiversité des Pyrénées.

La protection de l’ours et la préservation du pastoralisme ne sont pas deux causes opposées. Il s’agit avant tout de faire coexister les hommes et les animaux, deux espèces qui ont le droit autant l’une que l’autre de vivre sur un même territoire et de le partager. Il y a quelques semaines, les études du CNRS et du Muséum d’histoire naturelle alertaient l’opinion sur l’état catastrophique de nos campagnes. Les insectes, les oiseaux, les espèces animales disparaissent à une vitesse alarmante. Doit-on obligatoirement vivre dans un monde privé de sa biodiversité ou bien décidons-nous d’agir pour protéger ce qu’il en reste ?

Sources :

http://www.lemonde.fr/biodiversite/article/2018/03/09/l-etat-condamne-pour-n-avoir-pas-suffisamment-protege-l-ours-des-pyrenees_5268277_1652692.html

http://www.lemonde.fr/planete/article/2012/12/13/l-europe-met-la-france-en-demeure-sur-la-protection-des-ours-bruns-dans-les-pyrenees_1806261_3244.html

http://paysdelours.com/fr/la-mortalite-des-brebis-dans-les-pyrenees-et-l-incidence-de-l-ours-brun.html?cmp_id=50&news_id=1053

http://www.lemonde.fr/biodiversite/article/2018/03/20/les-oiseaux-disparaissent-des-campagnes-francaises-a-une-vitesse-vertigineuse_5273420_1652692.html

http://www.larepubliquedespyrenees.fr/2018/04/24/oloron-la-permanence-des-elus-de-gauche-vandalisee-par-les-anti-ours,2329309.php

http://www.larepubliquedespyrenees.fr/2018/04/23/les-anti-ours-s-affichent-sur-les-routes-du-bearn,2328635.php

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2 commentaires

  1. Je suis désolé, je réagis à chaud, je ne devrais pas, mais pour être plutôt sympathisant des causes se disant « écologistes » je suis affligé par le niveau des arguments et contre arguments avancés par l’élu (ou l’auteure de l’article). Il est attristant que nos élus/médiateurs dits « écologistes » fassent preuve d’une telle indigence philosophique et politique (au sens noble…) sur la question écologique. Il y a de nombres bonnes raisons pour comprendre les réticences des anti-ours, mais elles sont ici simplement tournées en dérision. Les raisons pour défendre les espèces animales et la biodiversité sont également nombreuses, mais elle sont ici réduites à des décisions de justice et à des promesses de campagne. A noter le superbe enchainement(il)logique qui ferait pâlir d’admiration Protagors le Sophiste : « Largement favorable à l’établissement de l’ours, le biotope pyrénéen est un territoire qui leur permet de vivre et de se reproduire. La présence de l’ours est donc un indicateur de bon état du biotope. Protéger l’ours revient à protéger toute la biodiversité des Pyrénées. » Bref un texte très faible qui ne peut que braquer les anti-écolo, et ne donne aucun argument sérieux à ceux qui voudraient défendre l’introduction de l’ours. Désolé, la critique est facile, mais… bon des fois ça fait du bien 🙂

    1. La Souris Verte a dit :

      Bonjour Jean. Nous vous remercions pour votre participation à ce débat. Ne soyez pas désolé surtout, la critique a ici toute sa place. Nous espérons qu’elle vous aura largement soulagé du besoin conséquent que vous sembliez devoir satisfaire expressément.
      Loin de nous l’idée de vouloir dans cet article faire preuve d’indigence, de sophisme ou encore moins de dérision. Le texte repose tout simplement sur des chiffres, des avis scientifiques et des articles de presse cités et répertoriés en bas de la page. Toutes ces sources sont donc à priori dignes de confiance, à moins qu’il ne s’agisse en réalité d’un complot écologiste destiné à bouleverser les consciences des « sympathisants des causes écologistes » ; ) …
      Le but de cet article est de montrer qu’une cohabitation entre l’Homme et l’animal est tout à fait possible, là où l’on se donnera les moyens de le faire. Preuve en est, des éleveurs et habitants le disent (et pas seulement les « élus / médiateurs » écolo) :
      https://www.sudouest.fr/2018/05/07/vivre-avec-l-ours-c-est-possible-5036761-4020.php
      http://www.larepubliquedespyrenees.fr/2018/04/27/comment-les-anti-ours-veulent-faire-echouer-le-plan-hulot,2331318.php?xtmc=ours&xtnp=6&xtcr=51 (bas de page)

      Dernière chose, les articles sont rédigés, vérifiés et validés par des sympathisants de la cause écologiste (encore eux, dit donc !) et non des élus. C’est d’ailleurs l’auteure en question qui vous répond.
      A bientôt.

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