Alexandre Volle, jeune écologiste de Montpellier a rencontré le géographe Éric Lambin à propos de sa conférence sur la “Consommation responsable à l’ère de la mondialisation”
Comment faites-vous pour avoir des pistes de réponses résolument optimistes face à un constat attristant de l’impact de la mondialisation sur l’environnement, laissant présager comme une fatalité des incitations économiques?
Éric Lambin : Derrière chaque défi se cachent des opportunités, de nouvelles directions possibles, qui sont souvent insoupçonnées. Pour trouver des solutions face aux énormes défis du XXIe siècle, il faut entraîner notre cerveau à percevoir ces opportunités : à voir le verre à moitié plein. Il nous faut emprunter un peu de cette culture du “tout est possible” qui caractérise par exemple la Silicon Valley en Californie. Cette attitude positive voit un défi passionnant à relever à chaque obstacle.
Une grande partie de la solution aux problèmes socio-économiques et environnementaux passera par des consommateurs responsables (consom’acteur), mais comment les responsabiliser?
L’éducation, l’information, la sensibilisation restent la pierre angulaire d’une transition vers des comportements plus durables et équitables. Certaines politiques peuvent orienter les comportements des consommateurs par des taxes, des incitants, des normes. Les nouvelles technologies offrent des possibilités de consommer plus intelligemment. Il faut développer un plus grand sens de la responsabilité envers le monde, et se convaincre que l’existence humaine mérite mieux que la poursuite d’un bien-être égoïste par une quête matérialiste. La consommation doit inclure une dimension altruiste, pour vivre ensemble de manière plus juste et garantir les conditions d’un développement durable à l’échelle planétaire. Acheter des produits issus du commerce équitable, adopter un régime alimentaire végétarien, recourir à des énergies renouvelables, sont quelques exemples de gestes simples qui ont un grand impact.
Il y a des contradictions entre nos valeurs et nos choix de consommation. Est-ce que la transparence de l’ensemble du processus de production de la “fourche à la fourchette” suffira à résoudre ces problèmes?
Une première étape pour consommer de manière plus responsable est que chacun dispose d’une information claire sur les impacts sociaux et environnementaux de nos choix quotidiens. Les éco-labels contribuent à cette plus grande transparence. Ensuite, il faut créer la motivation pour que
chaque citoyen, au-delà d’une intention générale, contribue de fait à un monde meilleur par des choix de consommation appropriés. Enfin, il faut que le secteur privé donne la capacité à chacun de faire ces choix responsables à un coût socialement acceptable, grâce à une large offre de produits qui sont certifiés durables.
Est-il envisageable que la classe moyenne mondiale adopte des lignes de conduite commune?
Il est difficile de convaincre tous les consommateurs et tous les producteurs dans le monde d’adopter des comportements responsables. Mais la concentration des filières de production et de distribution des biens de consommation dans les mains de quelques multinationales, qui a été facilitée par la mondialisation, a apporté au moins un aspect positif : lorsque ces multinationales adoptent des normes de production durable, on a résolu une grande partie du problème.
Reste à la société civile et aux consommateurs à pousser ces multinationales à assumer leurs responsabilités et à contribuer au bien commun. Nous disposons de toute une panoplie de moyens pour cela : du boycott des produits les plus polluants au “vote avec nos caddies” en faveur des produits les plus respectueux de l’environnement et du progrès social.
On annonce la COP21 (ndlr: l’interview a été réalisé avant que la COP21 ne soit terminée ) comme inédite en matière d’engagement de la part de l’ensemble des pays du monde, pensez-vous que l’on peut espérer une véritable avancée en termes de gouvernance environnementale mondiale à la fin de la conférence?
Oui, la conférence de Paris qui sera ouverte dans quelques jours marquera un tournant dans la politique internationale de lutte contre le changement climatique. Nous sommes au pied du mur. Le fonctionnement de notre planète change rapidement à cause des activités humaines. En parallèle, des changements dans le comportement des acteurs se produisent également : le monde de la finance commence à prendre conscience que l’industrie du charbon n’a plus d’avenir ; le secteur des énergies renouvelables est en plein développement à des coûts de production toujours plus bas; les leaders spirituels et religieux appellent à des actions fortes contre le changement climatique ; de grandes compagnies multinationales prennent des engagements de plus en plus crédibles pour un développement durable, etc. Il reste maintenant aux chefs d’État à donner un grand coup d’accélérateur à ce mouvement de société, par un accord international ambitieux à Paris.
Quel message voudriez-vous porter, aux personnes définitivement sceptiques sur le devenir de la planète, et, a contrario aux personnes qui sont convaincus que l’ensemble des problèmes sociaux et environnementaux se régleront naturellement par le progrès technique?
Aux sceptiques et aux pessimistes, je rappellerais cette citation : « Le meilleur moyen de prédire le futur est de l’inventer.» Il adviendra à la planète le sort que nous déciderons pour elle, par nos actes quotidiens en tant que citoyens, consommateurs, innovateurs, éducateurs. Le progrès technologique est l’une des composantes d’une transition vers un développement durable mais il ne suffit pas, car à quoi cela sert-il de développer des procédés de production moins polluants si, en parallèle, notre consommation n’arrête pas d’augmenter ? C’est bien l’adoption d’un système de valeur moins matérialiste, plus altruiste et plus axé sur la coopération plutôt que sur la compétition qui est le pilier central de cette transition.