Depuis la mort de Rémi Fraisse, des rassemblements, où la tristesse s’est mêlée à la colère, ont eu lieu partout en France. Lors de plusieurs de ces rassemblements, des affrontements entre des « autonomes » et la police ont éclaté. S’est alors posée la question du rapport des écologistes avec ces militant.e.s violent.e.s : quelle attitude adopter quand on est pacifiste ? Alexis exprime dans La Souris Verte ses impressions sur la question.
Depuis les événements tragiques de Sivens, la question du rapport à la violence dans l’action militante est revenue en force dans le débat public et médiatique, souvent de manière très caricaturale. Les débats sur la question sont très riches au sein des Jeunes Écologistes : sur le comportement des autorités publiques et de la police face aux militant-e-s anti-barrage, sur les moyens d’action choisis par certain-e-s de ces militant-e-s. Si sur le comportement des autorités, tout le monde au sein du mouvement semble tirer un même constat, la question est plus délicate s’agissant des actions militantes. Résumons : les moyens d’action violents sont-ils légitimes ou non ? La réponse pourrait paraître simple, au sein d’un mouvement profondément marqué par la lutte non-violente. Et pourtant, nos débats le montrent, c’est loin d’être le cas. Pourquoi ?
Pour y répondre, peut-être faut-il d’abord se demander ce qu’est la violence. Quand on creuse un peu, chacun-e, du fait de son histoire personnelle et militante, a souvent des définitions assez différentes de ce qu’est la violence, de ce qui est violent ou non. Mais allons plus loin et faisons ensemble un petit exercice : où plaçons-nous, individuellement, la limite entre ce qui est violent ou ce qui ne l’est pas ? Difficile à dire… La violence est-elle uniquement physique ? Ne peut-elle être aussi symbolique, psychologique, sociale ? Pas besoin de goûter de la matraque pour ressentir de la violence de la part de la police : des attitudes, des gestes, des mots, suffisent parfois.
Ce qui est perçu comme étant de la violence dépend donc beaucoup du contexte et des interactions avec ce contexte. Il en est de même pour ce qui est des moyens d’action que l’on considère comme légitimes ou non : la perception individuelle et le contexte de leur utilisation joue beaucoup. D’ailleurs, un des exercices de base de la formation à l’action directe non-violente consiste à matérialiser un espace structuré en deux axes : « violent / non-violent » et « je le ferais / je ne le ferais pas ». Le ou la formateur/trice pose ensuite des situations, à chacun-e de se placer sur ce double axe. Faucher un champ d’OGM, violent ou non-violent ? Je le ferais ou je ne le ferais pas ? Et faucher ce même champ, mais devant l’agriculteur au bord des larmes car sa récolte est saccagée ? Et saboter un engin de chantier ? Ce genre d’exercice est très riche d’enseignements sur soi-même et les autres : il permet à chacun-e de « tester » son rapport à la violence et d’en discuter avec les autres participant-e-s. Il permet de réfléchir concrètement sur ce qui peut être considéré comme violent ou non, sur ce qu’il est légitime d’entreprendre ou non, sur ce qu’individuellement, je me sens capable de faire.
Il s’agit donc finalement, avant d’entamer tout débat sur la légitimité des moyens d’action et sur l’usage de la violence dans le militantisme, de bien s’assurer de comprendre « d’où nous parle » notre interlocuteur. Sinon, le débat risque de rester stérile. Finalement, la compréhension mutuelle, pour que chacun s’aide de l’autre pour mieux éclairer sa pensée et avancer dans sa réflexion, n’est-elle pas le début de la non-violence ?
Je pense donc que, quel que soit votre choix de mode d’action, la seule règle d’or qui doit fonder toute action militante qui se veut progressiste, c’est l’empathie. Souvenez-vous toujours qu’en face de vous, il y a une autre personne, sensible et douée de raisonnement, et qu’elle est votre égal. Qu’il/elle soit flic, syndicaliste de la FNSEA, catho intégriste ou tout autre chose.
D’abord, parce que l’empathie est notre arme la plus puissante. Pour un État ou des groupes d’intérêt qui ne connaissent que le rapport de force et la violence pour l’établir ou le maintenir, l’empathie désarçonne. S’ils savent très bien gérer et utiliser à leur profit la violence, ils ne savent pas faire face à des opposants qui leur ouvrent les bras. Ils deviennent tout à coup ridicules, avec leur équipement de guerre ou leurs insultes et menaces. Ce ridicule les délégitime, eux qui paraissaient si sérieux, si sûrs de leur bon droit et si ancrés dans leurs certitudes. Cette délégitimation est démultipliée par les médias de masse : frapper des militant-e-s clairement pacifistes, en direct devant des millions de téléspectatrices et téléspectateurs, est-ce une bonne idée pour garder l’opinion publique avec soi ? Gagner la bataille des images, c’est pratiquement gagner la bataille de l’opinion : ce n’est pas rien dans une société malgré tout à peu près démocratique.
Mais l’empathie doit être une règle d’or, avant tout parce qu’elle seule permet de construire un projet de société juste et durable, grâce au rapport de confiance et de compréhension qu’elle établit. Si on oublie cette empathie, qu’on réduit l’Autre à une chose, classée directement dans une catégorie générique d’obstacle à abattre, alors on ne vaut pas mieux que ceux contre qui on lutte. Les violences policières ne justifient pas que l’on considère tout policier comme coupable des actes de ses collègues. Si on perd notre humanité dans notre combat militant, on perd la raison fondamentale de ce pour quoi on se bat.
La violence n’est que le symptôme de la domination : on utilise la violence soit pour tenter de renverser un rapport de domination qui nous oppresse, soit pour imposer le maintien de ce rapport de domination. Dans tous les cas, le rapport de force, l’antagonisme brutal, restent. Au contraire, une action politique basée sur l’empathie cherche à déconstruire ces rapports de domination : si je suis capable de me projeter à la place de l’autre, comment pourrais-je supporter de lui faire subir une domination ? L’empathie pousse à la bienveillance mutuelle et à la coopération. Bien sûr, elle ne gomme pas les différences d’opinion, mais elle aide à les faire se confronter de manière constructive.
Dans cette perspective, il n’est plus question de voir la violence comme un moyen légitime ou non d’action, mais comme un constat d’échec. Cela ne veut pas dire qu’elle ne doit être utilisée en aucun cas : quand l’on cherche à vous détruire totalement, vous devez bien vous défendre. Répliquer à la violence de l’État qui veut vider de force la ZAD de Notre-Dame-des-Landes est regrettable. Mais c’était malheureusement l’un des seuls moyens de stopper le rouleau compresseur de l’opération « César », alors que l’État avait rompu tout dialogue. Sans même parler des nombreux endroits du globe où toute expression libre est systématiquement réprimée.
La violence est tout ce qu’il reste aux dominé-e-s face à la violence des dominant-e-s et à l’échec de la mise en place des conditions d’une confrontation constructive, d’un véritable débat public dans le cadre du respect des libertés publiques et des droits individuels. Mais la violence ne doit pas être une fin en soi, simplement un moyen d’imposer un nouveau rapport de force quand ce dernier est trop déséquilibré. Elle doit être mesurée en rapport avec la situation et faire ensuite place à d’autres modes d’action et d’expression, dès que cela est possible.
La violence n’est donc pas forcément légitime ou illégitime en soi, elle est parfois une nécessité. Mais où situer le seuil de cette nécessité ? Dans une société française certes très répressive envers celles et ceux qui pensent autrement, mais qui garantit tout de même un État de droit bien plus affirmé que dans la plupart des endroits du globe, à quel moment l’usage de cette violence devient légitime ? Vaste débat, qui n’est sans doute pas près d’être résolu…
Alexis Billiet