Hier, 23 avril 2015, on célébrait en France les deux ans de mariage pour tous. Deux ans déjà… J’ai évidemment fait partie de celles et ceux qui se sont battu-e-s corps et âme pour ce texte et pour cette avancée. J’ai fait partie de celles et ceux qui ont été écœuré-e-s de voir qu’autant de Français-e-s étaient contre. J’ai fait partie de celles et ceux qui ont eu des frissons en écoutant le discours de Christiane Taubira lors de l’ouverture du débat à l’Assemblée Nationale ; les larmes aux yeux, il y a maintenant deux ans (et un jour) déjà en voyant les résultats du vote et en entendant le discours de cette même Madame Taubira qui a suivi l’adoption du texte ; le cœur rempli de joie en allant Place du Capitole, à Toulouse, pour fêter cette victoire avec mes ami-e-s, mes amours, mes camarades de combat, ou des inconnu-e-s qui venaient, comme moi, simplement partager leur bonheur ce soir-là. Deux ans déjà, mais mon émotion est toujours aussi forte quand je repense à tout ça.
Deux ans déjà et pourtant je n’ai pas l’impression que le monde ait vraiment changé. Je ne parle pas là des railleries qu’on a pu voir toute la journée d’hier, adressées à La Manif « Pour Tous » (sic) ou autres adhérents aux fans clubs de Christine Boutin et Virginie Tellenne (alias Frigide Barjot), pour leur rappeler que, non, la punition divine promise n’est manifestement pas arrivée, les hétéros ne se sont pas tou-te-s transformé-e-s en êtres « contre-natureuh » et aucun enfant n’a été mangé… Non, je parle ici du vrai monde, celui dans lequel je vis tous les jours à vos côtés.
Deux ans déjà et l’on voit toujours des « veilleurs » prendre la pause devant le Ministère de la Justice. Paris est toujours recouverte de tous ces stickers exhibant une Marianne bâillonnée – on passera sur le vol d’un symbole d’une république ayant pour mots d’ordre liberté, EGALITE, fraternité, pour défendre une forme de discrimination… Nos « grands penseurs » tout droit venus du PCD (parti ouvertement chrétien 110 ans après la loi sur la séparation de l’Eglise de l’Etat et qui nous donne à l’occasion des leçons de laïcité…) réclament encore et toujours l’abrogation de cette loi. On trouve encore sur Twitter, en se baladant un peu, des bios affichant fièrement le mot-dièse #TeamHomophobe… Deux ans déjà, la société française est toujours là, le monde ne s’est pas effondré, mais ce même monde n’a que très peu changé.
Deux ans déjà, mais personnellement hier mon cœur n’était pas qu’à la célébration. On fait toujours une distinction claire entre mariages hétéro et mariages homo, enfin… « unions entre couples de même sexe » pour être plus politiquement correct. Plusieurs journaux, y compris ouvertement favorables à cette avancée, ont profité de la journée d’hier pour faire le « bilan du mariage pour tous ». Je ne leur jette pas l’opprobre, cela fait partie intégrante de leur travail, mais je ne peux pas m’empêcher non plus de me sentir mal à l’aise à chaque fois que je vois que l’on fait la distinction entre ces « deux formes de mariage ». Et c’est sans compter ceux qui persistent à préférer l’expression « mariage gay »…
Deux ans déjà, mais trop de promesses ont depuis été oubliées. Où en est-on aujourd’hui du débat sur l’ouverture de la PMA aux couples de femmes ? Où en est-on aujourd’hui du débat sur les droits des trans’ ? Comme l’a rappelé Nicolas Rividi hier dans une tribune, nous n’en sommes qu’aux regrets, qu’en plus peu d’entre nous exprimons.
Deux ans déjà, mais même dans notre pays nous sentons toujours le besoin d’avoir des Marches des Fiertés pour réaffirmer et revendiquer que nous ne sommes pas des sous-citoyens.
Deux ans déjà, mais les associations de lutte contre les discriminations sont toujours là et les foyers d’accueil de jeunes LGBTQI se multiplient plus vite que jamais…
Eh oui deux ans déjà… Je dresse ici un portrait plutôt noir de notre pays, que probablement peu d’entre nous remarquent. Pourtant chacun de ces détails de ma vie quotidienne me font mal. Aujourd’hui, je n’ai plus aucun mal à assumer qui je suis mais ça n’a pas été simple d’en arriver là. Je sais que pour beaucoup cette étape n’est pas encore franchie car elle n’est pas facile, et je sais aussi que beaucoup souffrent encore de cette situation. Nous avons encore un long chemin à faire mais heureusement, dans ce même quotidien, je côtoie aussi ma famille et tout un tas d’ami-e-s, de militant-e-s, de sympathisant-e-s, d’inconnu-e-s, d’amours et j’en oublie plein, qui me font chaud au cœur et qui se battent à mes côtés, à nos côtés pour défendre cette égalité républicaine encore trop souvent théorique.
Deux ans déjà depuis notre dernière victoire. Cette bataille, comme beaucoup d’autres, a été une bataille juridique, mais notre guerre, elle, est culturelle. Une loi ne remplacera jamais l’acceptation de soi et l’acceptation de l’autre dans notre société, surtout lorsqu’il s’agit de nos proches et même si ça fait deux ans déjà, mon combat, notre combat, lui continue et j’aimerais de tout mon cœur qu’un jour je puisse écrire ici « deux ans déjà que cette guerre est finie »…
Crédits photo : Michaël Jeanjean