Helena Maleno est de ces figures qui, avec Carola Rackete, avec Pia Klemp, incarnent de manière forte une autre Europe. Elles combattent quotidiennement, sur le terrain, en mer et sur terre, cette Europe sécuritaire de la peur et du repli identitaire. Helena est défendeure des droits humains, journaliste, écrivaine, chercheuse, mais avant tout militante et profondément humaine et humaniste, et cela s’en ressent à sa seule manière d’être : il y a de ces forces de la nature qui par leur seule présence incarnent un message politique. Nous avons eu la chance de la rencontrer lors de son passage au Parlement Européen, où elle est venue rencontrer des parlementaires comme Damien Carême, Pietro Bartolo, ou encore Tineke Strik. Elle est accompagnée de Camille Gervais, qui travaille pour Frontline Defenders, une ONG qui contribue à la protection des défendeur.se.s des droits humains.
Née en Espagne, à El Ejido -région aussi nommée « mer de plastique » car elle est presque entièrement recouverte de serres en plastique où travaillent beaucoup de migrant.e.s- Helena Maleno grandit dans une famille avec peu de moyens mais avec « des valeurs fortes de défense de droit », nous dit Helena. Elle les fait siennes, et en fait des outils de combat. Voici quelques-unes de ses réponses à nos questions sur son parcours, ses perspectives sur la situation politique actuelle, sur le rôle de l’Union Européenne, et au-delà des institutions en général. Helena parle de ses « collègues migrants », elle a plus de 50 000 followers sur Twitter -toute la diaspora africaine, pour qui elle est un repère et une héroïne, bien qu’Helena rejetterait sûrement ce qualificatif tant elle répète ce mot dans ses propos : « ensemble ».
Nous nous retrouvons dans le Astrid Lulling Lounge du Parlement Européen. Helena, peux-tu nous expliquer pourquoi tu te retrouves ici, toi qui est plutôt une femme du terrain… ?
Je suis venue ici accompagnée de Frontline Defenders, qui est une ONG qui travaille à la protection des défenseure des droits humains. Je suis venue car dans le cadre de mon travail de défense du droit à la vie en mer, pour lequel je lutte en appelant les services de sauvetage en mer lorsqu’on me signale des embarcations en difficulté, j’ai été persécutée par la police espagnole et marocaine, qui ont collaboré pour monter contre moi un dossier judiciaire qui est au fond un dossier policier et politique. Les tribunaux marocain et espagnol devant lesquels je suis passée, avec un risque d’emprisonnement à perpétuité, ont statué que mon travail ne constituait pas un délit mais était bien un travail humanitaire, mais malgré cela la surveillance continue et je ne suis pas protégée. Donc je suis venue au Parlement européen pour obtenir des parlementaires de l’Union ce soutien et cette protection de mes droits que mon propre pays ne me garantit pas.
Tu es née en Espagne, aujourd’hui tu vis au Maroc et tu te bats quotidiennement pour le droit des personnes migrantes, tu essaie de minimiser les dommages causés par une politique migratoire de plus en plus dure…qu’est-ce qui t’a mené à ces combats ?
Je viens d’une famille avec peu de moyens, mais très attachée à certaines valeurs. Nous avons grandi à El Ejido, qu’on appelle la « mer de plastique », et donc nous avons témoigné nous-mêmes de ces arrivées de migrants qui venaient travailler là et qu’on exploitait. Il s’agit véritablement d’un esclavage. L’Andalousie c’est une frontière en tant que tel, toute la région est marquée par la présence de ce lieu de passage. Nous avons vu aussi comment la région et les gens se sont enrichis avec l’arrivée des migrant.e.s, alors qu’il s’agissait d’une région pauvre. Et cette richesse nous la bâtissions sur l’exploitation des migrant.e.s.
J’ai commencé par militer dans une association écologiste, puis mon combat s’est porté sur la protection des droits des personnes au niveau de la frontière, ce combat pour une politique de vie, et j’ai crée Caminando Fronteras, un collectif qui lutte pour sauver les personnes en mer, en essayant de faire en sorte que le service public de sauvetage en mer reprenne.
Ce que nous faisons c’est essayer de rétablir le droit à l’accès aux frontières : les zones frontalières de l’UE sont devenues des zones de non droit. Dans ces espaces il y a des enfants qui naissent qui ne sont pas enregistrés, il y a des enfants qui sont retenus dans des camps et ne peuvent pas aller à l’école… Pour le bon fonctionnement du système de contrôle migratoire voulu par les Etats, il y a de nombreux droits qui sont bafoués. Un de ces droits c’est le droit à la vie, car aujourd’hui traverser une frontière c’est se trouver entre la vie et la mort.
Nous travaillons aussi pour faire en sorte que les familles des disparues en mer puissent avoir une information sur le sort de leur proche, pour le moment cette information ne leur ai pas donnée ; ils peuvent appeler la police mais la police leur répondra systématiquement que non, il ne peuvent pas les informer.
Dans tes recherches, tu relies ton travail sur les migrations et une perspective de genre. En quoi le parcours migratoire affecte t-il tout particulièrement les femmes, de manière peut-être plus violente ?
Le processus migratoire est un processus qui a trait avant tout au corps, et la femme dans ce processus est particulièrement ciblé. L’exploitation et la brutalisation des corps, par l’esclavage, par le viol, prend des formes plus violentes pour les femmes qui sont plus vulnérables. Ce que l’on constate c’est que les femmes qui migrent savent qu’elles vont devoir payer ce prix. Il y a le prix à payer aux passeurs, en argent, et il y a le prix corporel : le viol pour les femmes, l’exploitation au travail pour les hommes. Beaucoup d’entre elles le revendiquent, elles en font une partie de leur combat, une étape qu’il faut se résoudre à franchir. Mes collègues migrants me disent souvent : « la vie c’est un combat » ; pour les femmes cette exploitation et cette violence sur leur corps fait partie de leur vie et de leur combat. Le corps des femmes dans les luttes de pouvoir autour des migrations devient stratégique, leur corps cristallise et concentre ces jeux de domination.
En France ces derniers jours, on a pu constater dans la bouche de nos dirigeants des propos extrêmement inquiétants, qui présentent l’immigration d’emblée comme un « problème » et qui relie l’immigration à des questions identitaires. Quel est ton point de vue sur le climat politique actuel ?
J’en suis bien sûr très inquiète, et j’en vois les résultats chaque jour à la frontière, où la situation se dégrade. Vous savez les frontières c’est avant tout un « business », et l’Union Européenne est un acteur de ce business. Il y a des camps en Libye financés par l’Union Européenne où les personnes sont détenues, exploitées, parfois torturés, et tout cela profite à certains. Il existe une industrie très puissante qui a besoin de ce climat de peur et d’insécurité pour fonctionner. Les discours et les décisions des politiques viennent nourrir cette industrie. Dans beaucoup d’endroits, la mafia devient de plus en plus dominante, et toutes les mesures proposées pour combattre cette mafia ne sont que du vent et nourrissent la logique sécuritaire qui elle-même nourrit les mafias.
Ce que l’on construit en ce moment c’est bien ce qu’Achille Mbembe appelle une « nécropolitique », une politique de la mort. Les mers, nos frontières, sont devenus des lieux de mort, des cimetières. Il y a un choix politique très clair de laisser mourir en mer, et laisser mourir c’est créer de la mort. Ces choix sont nourris par un racisme qui est encore pleinement existant.
Chez les Jeunes Ecologistes, nous considérons que la lutte politique relie le combat écologique, féministe, anticapitaliste, altermondialiste…comment perçois-tu la liaison entre ces combats et la perspective d’une « convergence » ?
Il faut que toutes les luttes se rassemblent, et c’est déjà ce que nous faisons sur le terrain. Nous sommes comme des termites qui mangeons la Terre, il faut que cela cesse et que nous respections la Nature, cela va de pair avec un respect de l’humain, des femmes, des enfants. Il faut faire en sorte que toutes ces luttes se rejoignent pour construire ensemble une politique de la vie qui puisse s’opposer à la nécropolitique actuelle. Il faut vraiment que nous soyons ensemble dans ce combat.
Nous nous retrouvons aujourd’hui dans un salon du Parlement européen, que penses-tu du pouvoir des institutions européennes ?
Au-delà des questions de droit, plus fondamentalement aujourd’hui c’est une question de privilèges. Nous, les blancs occidentaux, travaillons à protéger nos privilèges, mais on continue à parler de « droits » parce que c’est plus acceptable. Le Parlement européen, le bâtiment en lui-même, crée cette sensation de privilège et de protection ; c’est quasiment un bunker ! On se sent protégés à discuter dans nos salles, derrière nos murs. C’est une structure qui crée de l’indifférence. C’est le monde des « hommes gris » qui font des réunions et décident pour le monde.
Aujourd’hui je suis venue au Parlement Européen pour solliciter le soutien de parlementaires car je subis des persécutions de la part de la police espagnole et marocaine. Mais certains d’entre eux me disent qu’ils ne peuvent pas me soutenir sans l’accord de leur pays…il n’y a donc pas toujours une existence autonome de l’Union et des parlementaires de l’Union ; l’Union manque de courage et se résume trop aux décisions des Etats membres.
Il faut donc lutter à l’extérieur ou à l’intérieur de institutions ?
Aujourd’hui j’ai choisi de lutter depuis l’extérieur des institutions, sur le terrain. Il faudrait qu’on puisse transformer complètement ces institutions. Après la mort de Franco on n’a pas fait cette grande transformation et c’est pour cela qu’aujourd’hui en Espagne il y a de très fortes critiques sur le manque de démocratie du système. Il faut pourtant mener la lutte aussi dans les institutions pour faire tomber les murs ; il faut une ouverture des institutions et que chaque élu se rappelle sans cesse que c’est pour les gens qu’il doit agir au quotidien. La politique est faite tout le temps par chacun de nous. A mes collègues migrants, je dis toujours que ça n’est pas moi qui défend leurs droits, c’est eux qui le défendent eux-mêmes, par leurs actes, lorsqu’ils font le choix de traverser, lorsqu’ils bataillent pour obtenir leur droit d’asile. Nos droits, c’est nous.
Faire tomber les murs des institutions, combattre pour une politique de la vie…on note ! aurais-tu un dernier message à nous transmettre ?
Une dernière chose peut-être oui : il faut toujours se rappeler que la lutte n’est pas juste un combat, elle doit aussi être joyeuse et belle.
Avant de se quitter, on prend quelques photos. A ce moment-là, Helena me parle de son T-shirt, qui a été fabriqué par des vendeurs à la sauvette de Barcelone, réunis en collectif et qui ont fondé une marque pour résister à la criminalisation de leur activité. Son T-shirt est rouge vif, avec une grande image d’un tigre rugissant imprimé dessus et l’inscription « Black Manters ». A ce moment-là je me dis que la révolution sera rouge et verte, qu’elle sera faite de l’alliance des tigres et des colibris…
Propos recueillis par Claire Lejeune.
Vraiment elle a absolument raison pour la lutte ,elle se battre pour une droit humanitaire, ils font soutenir cette dame.
Imaginez ,à travers les mondes migrants travail pour exploiter