Découverte

Ferme-usine : le cas du centre d’engraissement des 1000 veaux en Creuse

C’est l’histoire d’un projet qui peut paraître merveilleux sur le papier.

Il s’agit d’un « Atelier d’engraissement collectif » de veaux limousins. L’essentiel des matières premières pour l’alimentation (céréales,maïs, colza) ainsi que la paille seront achetées dans un rayon de 100 à 150 km. Le fumier sera méthanisé, et le toit de l’installation sera couvert de panneaux solaires. Pendant 5 ans, tous les veaux seront achetés par la société SVA Jean Rozé, filiale d’Intermarché, qui garantit un prix minimum aux éleveurs. Les jeunes taurillons seront alors revendus à l’étranger. (1)

Tentant, non ? Mais attention aux apparences, ce projet de centre d’engraissement qui prévoit de réunir 1000 veaux d’une cinquantaine d’éleveurs du Limousin pour les y engraisser de 230 à 260 jours est loin d’être le fantastique projet écologique que ces promoteurs présentent

· Modèle économique

Le projet du centre d’engraissement menace le modèle économique de l’élevage en France et plus particulièrement dans le Limousin. En effet, si le Limousin est une région connue pour ses forêts, ses pâturages et ses pommes, elle l’est aussi pour sa viande, réputée pour être de qualité. Cette qualité est liée au fait que les bovins sont élevés dans des prairies. Cela n’a rien à voir avec ces veaux qui seront entassés dans un bâtiment dont ils ne sortiront que pour aller à l’abattoir. Leur engraissement rapide, les maladies qui se développent à cause de la promiscuité et du fait que les animaux proviennent de troupeaux différents, ou leur alimentation sont autant de facteurs qui feront de la viande de ces taurillions une viande de mauvaise qualité.

Le fait que la filiale d’Intermarché rachète toute la production aliène complétement les éleveurs à la grande distribution, sans leur assurer une sécurité à long terme. A la fin du contrat, si elle décide de supprimer le prix minimum d’achat, que feront les éleveurs ?
De plus, on peut s’interroger sur la viabilité d’un tel projet quand on sait que la viande produite est destinée à être vendue en Italie, en Espagne ou en Grèce où elle sera en concurrence directe avec de la viande produite moins chère par d’autres pays européens aux normes sanitaires et environnementales plus basses.

Sacrifier ainsi l’image de marque du Limousin pour qu’une cinquantaine d’éleveurs puissent vendre leurs veaux à la grande distribution, est une bien mauvaise stratégie économique.
D’autant plus si l’on considère que le projet, chiffré à 1,4 millions d’euros, est financé presque à moitié par des subventions publiques ! Capter des subventions publiques pour des projets de ce type est devenu un sport national. (1)

· Emploi

L’argument phare « Développer de l’emploi » se traduit dans les faits par, tenez-vous bien….3 emplois.Seules 3 personnes seront nécessaires pour faire tourner ce centre !

Par ailleurs, la construction des bâtiments est un chantier très limité,qui n’aura donc pas non plus pour effet de dynamiser le marché local de la construction.

· Environnement

L’étude d’impact ne relève aucune anomalie. Mais attention, on parle ici uniquement du centre, et donc pas de l’amont ou de l’aval. C’est un peu comme si Total affirmait être une entreprise verte car ils mettent des éoliennes sur leur toit.

Pas moins de 40 m3 d’eau seront nécessaires tous les jours pour les veaux, soit la consommation annuelle d’un français. « Le réseau alimentant la commune de la Courtine risque d’être pénalisé par cette nouvelle demande et de ne plus remplir sa mission. A ce titre, une recherche en eaux souterraines effectuée » indique que « la ressource existe vraisemblablement mais ne demeure qu’une supputation technique ». (1) La question de l’eau n’est donc pas réglée, et inclut potentiellement des difficultés pour les riverains ou le captage dans une nappe dont on ne sait rien.
Et les gaz à effet de serre ? A ceux produits par les veaux, il faut ajouter ceux liés à l’export de ces veaux dans des pays comme la Grèce, non négligeables.

· Alimentation

Maïs, triticale (une céréale issue d’un croisement entre blé et seigle), tourteaux de colza, pulpe de betterave, vinasse et minéraux : même si « l’essentiel des matières premières pour l’alimentation (céréales, maïs, colza) ainsi que la paille pour les litières seront achetées dans un rayon de 100 à 150 km »(1), l’étude du site internet du fournisseur de tourteaux de colza et des pulpes de betterave n’indique aucune provenance. Aucune réponse non plus à mon mail demandant des précisions. A y regarder de plus près, parmi les produits vendus par ce fournisseur se trouvent du « Tourteau d’extraction de soja dépelliculé cuit et contenant des OGM ». Bref, un fournisseur bien pratique…et qui ne se fournit clairement pas que chez les céréaliers français.

· Éthique

Les veaux ne verront pas la lumière du jour pendant cette période d’engraissement. Des conditions de vie bien loin de leurs besoins naturels…

En effet, le collectif OEDA rappelle « l’importance de l’accès à des enclos extérieurs » qui « est […] soulignée par la Recommandation du Conseil de l’Europe concernant le bétail du 21 octobre 1988 qui stipule que « l’occasion de sortir doit être donnée aux animaux aussi souvent que possible et en été de préférence chaque jour».  »
Ce collectif rappelle aussi que leur alimentation « conduit à des problèmes digestifs (acidose), à une fermentation excessive dans le rumen, provoque des cas de fourbures et augmente les taux d’abattage de troupeaux : d’où l’obligation d’abattre jeune. » (2)

· Des énergies renouvelables prétextes

« Des panneaux solaires devraient garnir la toiture […]. Sauf que la rentabilité reviendrait majoritairement à la société Phébus Energy, qui louera les toitures pendant 10 ou 20 ans et qui a conditionné son investissement sur l’atelier à la construction d’un champ de panneaux photovoltaïques de plusieurs hectares à proximité ». (3)
Le méthaniseur est brandi comme un argument de poids, faisant presque passer l’élevage pour un sous-produit ! Et l’énergie consommée par ce centre, directement ou indirectement (alimentation,export des animaux…), permet de relativiser l’avantage de ce méthaniseur.

D’un projet écolo qui soutient l’élevage creusois et va créer de l’emploi, on passe à un projet largement subventionné, ayant un impact sur l’environnement (consommation d’eau, émissions de gaz à effet de serre), bafouant tout bien-être animal, très peu créateur d’emplois et pouvant détruire l’image « nature » du Limousin.
Imaginons plutôt : pourquoi ne pas utiliser ces subventions publiques pour aider les éleveurs à se tourner vers une meilleure utilisation des prairies ? Vers la production de céréales variées, de légumineuses ou encore de fruits et légumes qui manquent tant au Limousin ? (4) Ces subventions peuvent également aider l’installation de petites unités de transformation de ces produits locaux pour capter plus de valeur ajoutée. Des produits dégustés en Limousin, dans les cantines et restaurants par exemple, mais aussi dans d’autres régions de France…
Cela créerait de nombreux emplois, contribuerait à l’image de marque du Limousin et n’aurait qu’un faible impact sur l’environnement.

(1) Présentation du projet par ses promoteurs

(2) Dossier du collectif OEDA (Oui à l’Etourdissement Dans les Abattoirs)

(3) Dossier élevage dans La Terre du 8 au 14 avril 2014, disponible dans l’argumentaire del’OEDA

(4) Plan régional d’Agriculture Durable
## photo vache Limousine
Manifestation le 14 novembre àGuéret – événement Facebook

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