Découverte

Comment faire le lien entre les générations ? – Interview avec Jocelyne Le Boulicaut

Souris Verte : Bonjour Jocelyne. Tout d’abord, nous tenions à te remercier de nous avoir sollicité afin que nous parlions ensemble de politique en manière de dépendance et lien entre les générations. Tu es de la commission Vieillesse et Solidarité à Europe Écologie Les Verts. Est-ce que nous pouvons commencer par te présenter : Qui es-tu ? Qu’est-ce que la commission Vieillesse et Solidarité d’EELV ? Rapidement et avant de rentrer plus dans les détails, qu’est-ce que vous faîtes dans cette commission ?

Jocelyne Le Boulicaut : D’origine franco canadienne, c’est en 2000 que j’ai adhéré chez les Verts, après avoir élevé ma fille seule et suite à la catastrophe de l’Erika. Il m’est alors apparu que nous devions, nous quinquagénaires et seniors prendre nos responsabilités et militer pour les générations qui nous suivent. Nous avions du temps, encore … de l’énergie et rien à perdre, donc tout à gagner. J’ai été d’abord militante de base, puis élue au Conseil Fédéral (CNIR chez les Verts) et ensuite co-responsable de la commission Féminisme. Lorsque j’ai décidé de ne pas redemander le renouvellement de mon mandat de co-responsable de la commission Féminisme, il m’a fallu décider du terrain dans lequel je voulais m’investir, et je me suis rendu compte que si les femmes souffraient d’inégalités et de la domination masculine, c’était encore plus vrai pour les femmes seniors. Mais c’est par le biais de mesures politiques pour les seniors hommes et femmes qu’il convient d’aborder la question. La commission Vieillesse et solidarité et le lien entre les générations étaient alors en déshérence. J’appartenais déjà au réseau des Seniors Verts Européens, il m’a donc paru naturel et évident de créer ce groupe de seniors qui se préoccupent des questions de la vieillesse certes, mais aussi des seniors, du bénévolat des seniors, de la place du bénévolat formel et informel, de la prévention des affections de la vieillesse  etc.

Partie I : La politique en manière de dépendance d’EELV

Souris Verte : Dans ton mail, tu nous as beaucoup intéressé car tu voulais nous « expliquer que ce genre de politique [NDLR : en matière de dépendance] concerne aussi les jeunes, puisque c’est eux qui en subiront les conséquences ». Pour les novices, qu’elles sont selon toi les grands axes d’une bonne politique en matière de dépendance ? Peut-être peux-tu commencer par nous expliquer qu’est-ce la dépendance ?

Jocelyne : La dépendance est multiple. Elle est affective, sociale, matérielle, médicale. Les gouvernements se suivent, tous nous promettent une loi sur la prise en charge de la dépendance mais tous reculent. Que ce soit la droite ou la gauche, personne ne s’y attaque. Or jamais l’Europe ne comptera autant de personnes âgées qu’elle va le faire durant les vingt prochaines années. Or les politiques de santé, austéritaires, de restrictions des services publics vont accroître la dépendance des personnes âgées. Les nouvelles politiques des retraite vont rendre les personnes âgées plus dépendantes de leur famille. Certes nous vieilliront, vous vieillirez plus, mais dans la mesure où les politiques de santé conduisent à un délitement des soins, nous vieillirons en moins bonne santé. Maladies environnementales, remboursements insuffisants pour les appareils auditifs, lunettes, franchises médicales conduisent un nombre croissant de personnes âgées à ne plus se soigner aussi bien. C’est donc sur vous, leurs enfants que retombera cette prise en charge des aîné-e-s .

Souris Verte : Comment financer cette politique en matière de dépendance ?

Jocelyne : Plutôt que dépendance, il convient de parler de perte d’autonomie. Celle-ci est rarement soudaine, elle s’installe petit à petit. Lorsqu’on devient « dépendant », alors il ne reste plus beaucoup d’années à vivre.

Il faut une politique de santé préventive beaucoup plus volontariste : arrêt des franchises médicales pour les patient-e-s en affection de longue durée (pour tous les âges), un contrôle médical complet annuel et gratuit pour les plus de 70 ans, une série de  séances de kinésithérapie complètement prises en charge chaque année après 75 ans pour garantir une mobilité de qualité, des transports publics gratuits pour les plus de 65 ans hors heures de pointe (pour certain-e-s il s’agit de prendre le bus, le tram pour un ou deux arrêts pour revenir du marché, d’une balade, du cinéma). Tout ce qui va favoriser la vie sociale est à promouvoir : gratuité des musées, places de cinéma à coût réduit à certaines heures pour les plus de 75 ans.

Quant à la dépendance, il suffirait de taxer les successions dépassant un certain plafond pour aider celles et  ceux qui en ont besoin : faire jouer la solidarité. En aucun cas ne faire payer à la personne dépendante sa dépendance en reprenant le coût sur la succession. Un jour on reprendra les allocations familiales, les indemnités journalières, les dépenses maladie, ce serait ouvrir une porte dangereuse.

 Les services publics se sont défaussés sur le privé à but lucratif pour les établissements hospitaliers pour personnes âgées dépendantes, ne créant pas assez de lits en structure publique ou privé à but non lucratif. Il faudrait que le public et privé à but non lucratif créent autant de lits que le privé à but lucratif. Nous avons pris un énorme retard, là encore nos enfants seront obligés de payer pour nous, nos retraites ne seront pas suffisantes pour payer le forfait hôtellerie de  ces établissements, le forfait santé étant le même quel que soit la structure (privé ou public). Peut-être encadrer les prix ? Mais cela me paraît difficile.

Par contre il faut des mesures pour favoriser les co-logements, en milieu rural  par exemple lorsque les enfants sont partis et que les logements sont sur-dimensionnés. Il faudrait pouvoir aménager les logements pour permettre à 3 ou 4 personnes âgées d’habiter ensemble en payant ensemble un-e auxiliaire de vie. Cela permettrait aux personnes âgées de rester vivre dans leur village et reviendrait moins cher que de payer un EHPAD ( établissement hospitalier pour personnes âgées dépendantes).

Partie II : La politique en matière de dépendance du Parti Socialiste

Souris Verte : Engagement 18 de François Hollande candidat en 2012, « j’engagerai une réforme de la dépendance permettant de mieux accompagner la perte d’autonomie. » En février 2013, trois rapports destinés à préparer le futur projet de loi sur la perte d’autonomie ont été remis au premier ministre de l’époque, Jean-Marc Ayrault. Laurence Rossignol, secrétaire d’État aux personnes âgées, a assuré lors des 4e Assises des logements-foyers le 13 mai 2014 que le texte serait présenté en Conseil des ministres avant l’été et arriverait au Parlement à l’automne. Or selon certains conseillers du gouvernement, l’adoption du texte d’ici à la fin de l’année sera très difficile. Qu’est-ce que cette réforme ? Est-ce qu’il y a eu des fuites ? Qu’avons-nous à en attendre ? Est-ce que tu crois qu’elle sera vraiment déballée du fond d’un carton que Manuel Valls a reçu en arrivant à Matignon ?

Jocelyne : J’ai travaillé avec Jean Desessard sur la perte d’autonomie. Nous devions avoir cette loi en 2013. Là je pense qu’elle est repoussée pour un bon bout de temps. Jean me dit que ce n’est pas pour 2014. Je pense qu’étant donnée la façon dont le PS envisage les choses il ne s’agit que d’une question comptable, et c’est là que le bât blesse.

Il me semble que beaucoup repose sur la famille, donc sur vous les jeunes. Je ne vois rien sur la création de places en établissements publics pour personnes âgées dépendantes. Cette loi fait tout pour le maintien à domicile et pour le faciliter, mais ne fait pas énormément pour les dernières années, celles où justement le maintien à domicile n’est pas possible.

 Le financement est peu clair. Contribution Additionnelle de Solidarité pour l’Autonomie (CASA) (645 millions d’euros). Ça vient d’où ? Qui paie quoi ? Pas de cinquième branche de la sécu . Je relis ça de nouveau demain ; mais je crains que la loi ne soit pas à la hauteur des exigences. D’un autre côté c’est un dossier de presse. Peut être faut-il attendre un peu.

Souris Verte : Quelle est la politique aujourd’hui mis en œuvre en matière de dépendance. Tous les salarié-e-s connaissent la journée de solidarité. Et après ?

Jocelyne : Actuellement, on laisse les gens se débrouiller. Le Ministère a mis en place un portail vieillesse, on y trouve quelques rapports et plan dont le plan Monalisa.

Partie III : Pendant ce temps, l’urgence…

Souris Verte : En rentrant un peu plus dans les détails pour préparer cette interview, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait vraiment urgence en matière de politique de dépendance. Une place en maison de retraite revient en moyenne à 1857 euros par mois au résident, soit deux fois le montant moyen actuel de la pension d’une femme. Quand ces personnes sont propriétaires de leur appartement ou de leur maison, ils peuvent se permettre de vendre leurs biens et se payer ce « luxe ». Si le patrimoine est insuffisant, cette « charge » repose sur les enfants voire petits-enfants pouvant engendrer des conflits familiaux. Selon une étude de la DREES (Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques de l’administration centrale des ministères sanitaires et sociaux), 40% de ceux qui aident une personne lourdement dépendante se disent « dépressifs ». Il existe même chez eux une surmortalité de plus de 60 % dans les trois années qui suivent le début de la maladie de leur proche, d’après la Haute Autorité de santé.

Et pourtant, malgré le rôle croissant que la société leur demande de jouer, ils ne bénéficient pas de statut – le préalable afin d’obtenir un début de reconnaissance et, ensuite, faire valoir certains droits, comme celui de pouvoir aménager son temps de travail. Un point essentiel, car 18 % des salariés de plus de 40 ans s’occupent d’un proche dépendant, d’après une étude réalisée par Malakoff Médéric. Est-ce que la question de la dépendance ne touche pas aussi le sujet du partage du temps de travail si cher aux écologistes ?

Jocelyne : Au sein du Parti Vert Européen, nous avons travaillé sur ce qui en anglais s’appelle « Volontary Work ». Déjà l’appeler Work implique une autre approche que notre mot bénévolat. Il faut une reconnaissance du bénévolat informel celui des aidant-e-s familiaux : ouverture de droits à la retraite, reconnaissance de validation des acquis, droit à formation diplômante après arrêt pour prise en charge d’un parent, aménagement du temps de travail pour aide à la personne, structures temporaires pour soulager les aidant-e-s.  Le Québec est beaucoup plus avancé que nous sur ces points et on peut trouver d’excellentes idées là-bas. Ceci dit, nous avons le même problème avec la prise en charge  des tous petits. Il devrait y avoir individualisation des droits. L’imposition devrait être individualisée. Il ne s’agit pas de payer le parent aidant qui reste à la maison, mais de lui ouvrir des droits à la retraite même s’il est non salarié-e. Cela pourrait être prévu dans l’imposition de ceux et celles qui travaillent. Il faudrait un vrai travail sur la question, je donne juste une piste.

Souris Verte : Est-ce que la piste est uniquement sur l’imposition et les droits de retraites ? Est-ce qu’une semaine à 32h voir 28h rentre en compte dans cette question ?

Jocelyne : En fait la piste étudiée serait plus une façon différente d’envisager le travail.  Je vais vous donner un exemple. Tout au long de ma vie je n’ai jamais eu un temps hebdomadaire de travail qui correspondait à mes désirs, à mes besoins. Quand j’étais jeune (et belle 😉 !euh je m‘égare !) et célibataire, je pouvais travailler plus, je voulais travailler plus, je voulais envisager l’achat d’un logement, d’une voiture, je voulais partir en vacances : raté ! Pas assez d’heures de travail et salaire de début de carrière, donc pas assez pour ce que je voulais. Ensuite, j’ai été jeune femme, jeune maman et là je voulais moins d’heures pour allaiter mon bébé, être à la maison quand elle rentrait de l’école, j’avais besoin d’une dizaine d’années pour être parent. Raté ! le temps de travail est légal.  Ensuite elle a été étudiante, là j’aurais voulu plus d’heures pour payer ses études, impossible. Et puis petit à petit, après qu’elle ait fini ses études, j’aurais aimé lâcher petit à petit mais là encore, pour les droits à la retraite, pas possible.

 Donc je crois plus à une gestion du temps de travail sur 5 ans ? 10 ans ? On déciderait qu’il faut faire tant d’heures de travail en 10 ans, aux salarié-e-s de déterminer comment elles/ils veulent faire ces heures. Je pense qu’il faudrait gérer sur 5 ans, parce que les employeurs doivent savoir où ils en sont. Mais je pense que cette façon hebdomadaire de quantifier le travail ferme justement la porte à toute possibilité de voluntary work (formel ou informel).  Donc au PVE on n’est pas sur une réflexion de 32 heures, 28 heures, on réfléchit plus en terme de Life long cycle.

Souris Verte : Avec le baby boom, est-ce que le nombre de personnes dépendantes ne va pas fortement augmenter dans les 30 prochaines années ? Pourquoi n’en entendons pas plus parler ? Est-ce parce que nous sommes sourds et que nous nous n’y intéressons pas vraiment avant cette interview ou est-ce que il y a un petit côté tabou derrière cette question ?

Jocelyne : Je pense qu’il y a surtout une impuissance. Les gouvernements ne savent pas comment prendre les choses et donc espèrent que les familles vont prendre en charge leur aîné-e-s et c’est cela qui m’a conduite à vous en parler. Si nous laissons faire vous aurez à payer ce qui devrait relever de la solidarité nationale. De même que tout le monde n’est pas malade, tout le monde ne devient pas dépendant. C’est donc à l’assurance sociale de créer cette cinquième branche. Et puis comme je le dis, mettre en place des politiques préventives qui reculeront l’âge d’entrée dans la dépendance, afin qu’elle soit la plus brève possible et là c’est notre environnement qui doit être protégé. De plus en plus de villes rejoignent le réseau des Villes amies des aîné-e, réseau qu’on retrouve au Québec et qui vient de démarrer aussi en Afrique. Je vous mets le lien du site de l’OMS :  ici.

Partie IV : Faire le lien entre les générations

Souris Verte : Et dans tout ça, comment faire le lien entre les générations ?

Jocelyne : Favoriser l’autonomie des jeunes comme des personnes âgées. Plus vite les jeunes deviennent autonomes, plus vite les personnes âgées récupèrent aussi leur pouvoir d’achat. Nous devons aider nos enfants trop longtemps, grevant ainsi nos budgets.

Souris Verte : Quelle conclusion pour toi ?

Jocelyne : Il faut redonner toute sa place à la solidarité nationale. Prendre toutes les mesures pour que tous les individus soient autonomes, les enfants n’ont pas à payer pour leur aîné-e-s. Nous avons travaillé toute notre vie pour acquérir des droits à la retraite, celle-ci doit être suffisante pour garantir que nous pourrons prendre en charge notre grand âge. Aux Conseils Généraux de s’assurer qu’ils construisent assez de structures à prix correct. Le business de l’accueil des personnes âgées doit être mieux contrôlé.

La Souris Verte

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