Ce matin dix décembre deux mil treize, le monde entier aurait pu s’arrêter de tourner, lorsque tous les plus grands chefs d’États, de Cuba à la Corée, de Paris à Washington, debouts dans le grand stade de Soweto, observaient une minute de silence en ton honneur. Les discours, émouvants, longs, sincères, récupérateurs, ou ennuyeux se sont succédés pour te rendre hommage. Ton ami, notre ami, Desmond Tutu, sans le dire, l’a fait mieux que tous, et en convoquant ses souvenirs les plus triviaux, a rappelé ta profonde humanité.
ll y avait aussi, pour te dire au revoir, ces milliers de Sud-Africains, noirs et blancs, qui chantaient en coeur “Don’t leave, Mandela, don’t leave”, en voyant devant eux la dépouille d’un homme qui a changé leur vie.
Certaines chaises vides rappelaient hélas que le monde n’est pas – encore? – devenu celui qu’on voudrait voir, que la haine parfois dépasse la fraternité, que la paix et l’amitié, trop souvent, laissent encore place à l’oppression et au déni ; que le courage de quelques uns ne s’entend pas, ne s’entend plus, dans le silence de la majorité.
Ces chaises vides étaient les plus tristes, mais peut-être aussi parmi les plus honnêtes. Quand un chef d’État prend le prétexte du coût du voyage pour ne pas venir à cet hommage, c’est que sa présence auprès de toi aurait été insultante.
Aussi insultante que les acclamations d’aujourd’hui de ceux qui hier soutenait l’oppression dont tu étais la victime, et vendaient des armes à tes bourreaux. Aussi insultante que l”hypocrisie des discours qui font l’éloge des valeurs que tu portais quand ceux qui les prononcent ni ne les partagent, ni ne les appliquent ; de ceux qui parlent d’émancipation et écrasent des peuples dans le sang. Aussi insultante que ces barreaux derrière lesquels tu as passé dix-sept années de ta vie, derrière lesquels tu as sacrifié dix-sept ans sur l’autel de la conquête non-violente de tes droits, de ceux de tes frères et sœurs, de ceux du peuple sud-africain.
Aujourd’hui, nous, jeunes d’Europe, aurions aimé te rendre hommage aussi. Nous aussi, nous nous battons contre les oppressions, les discriminations, les grandes injustices qui amènent les grands soirs, et les petites injustices, les vexations du quotidien. Tu te battais pour la liberté de chacun, pour l’égalité de tou-te-s, pour la fraternité partout, et tu le disais toi-même, ton combat est largement inachevé. Mais nous ne te rendrons pas l’hommage standardisé des irresponsables politiques de tous pays et de toutes couleurs.
Alors, merci. Merci mille fois pour avoir le temps de ta vie, mené ce combat. Merci d’avoir montré la voie à d’autres. Merci de ton message, et de l’héritage universel que tu nous lègues. Au-delà de ton décès, des valeurs, des mots resteront, et une certaine idée de la dignité humaine.