Nicolas est un jeune écolo expatrié au Japon depuis deux mois. Il a choisi de partager avec la Souris Verte ses réflexions sur l’écologie au Japon dans une série de trois articles. Au programme aujourd’hui : les pratiques et les politiques japonaises quant à l’environnement, avec le professeur Hiroshi Ōta, enseignant en politiques environnementales à Tokyo.
Les Japonais se définissent volontiers comme « écolos », même s’il n’existe pas vraiment de traduction littérale de ce terme. Le gouvernement par ses politiques, l’industrie par son innovation, et le peuple par ses actions quotidiennes, ont une façon de percevoir et de pratiquer l’écologie parfois intéressante.

Le pays du Soleil Levant est, par essence, confronté à des défis environnementaux. Dès les années 50 et 60, le Japon a été confronté à de graves problèmes de pollution industrielle, et a réussi à en venir à bout par des politiques gouvernementales appropriées. Pour le professeur Hiroshi Ōta, enseignant en politiques de l’environnement à la prestigieuse université de Waseda (Tokyo), la résolution de ces problèmes passe essentiellement par un « système légal approprié et complet, pour compenser les dommages et faire payer les pollueurs ». Aujourd’hui encore, les victimes de l’empoisonnement au mercure de la baie de Minamata dans les années 50 sont indemnisées.
« Notre principal atout en matière d’environnement est le volet technologique, ce qu’on appelle l’éco-modernisation », explique le professeur Ōta. En effet, le Japon est à la pointe de la technologie dans bien des matières. Premièrement en ce qui concerne les énergies renouvelables, et notamment le solaire : sur les 19,45 millions de kilowatts renouvelables produits par l’archipel, environ 5 millions proviennent du solaire. Les méga-centrales solaires, souvent offshore, fleurissent partout au Japon, et le pays est leader international dans la production de panneaux photovoltaïques.
La géothermie n’est pas en reste, le Japon étant une des régions les plus volcaniques du monde ; la centrale géothermique de Hatchobaru est une des plus grandes du monde. C’est d’ailleurs la récupération de l’énergie des sources chaudes qui est un des grands espoirs énergétiques de la région sinistrée de Fukushima.

Le génie technologique japonais s’exerce également dans le domaine des réductions d’énergie : électroménager, télévision, automobile (Toyota est leader mondial de la voiture hybride). Cette recherche découle logiquement de la rareté des ressources fossiles de l’archipel. Depuis 1979, une loi oblige les industriels à augmenter de 1% chaque année leur efficacité énergétique. Toute usine doit avoir au moins un employé dédié à cette problématique. Le professeur Ōta attire également l’attention sur la loi dite du « top-runner », en vigueur depuis 1988 : « tout nouveau modèle créé par une industrie doit, sinon surpasser, au moins égaler les performances du modèle le plus économe du marché. Cela garantit des innovations constantes en matière d’efficacité énergétique ». Ainsi, aujourd’hui, un Japonais consomme chaque année en moyenne deux fois moins d’énergie qu’un Américain.
Il est néanmoins amusant de relever quelques paradoxes : le professeur Ōta explique que les techniques d’économie d’énergies sont particulièrement efficaces en ce qui concerne… les sièges chauffants pour toilettes, technologie apparaissant peu nécessaire à nos yeux d’Européens.
Le Japon, bon élève des politiques environnementales ?
Le Japon est l’un des premiers pays à avoir adopté un « plan de base pour l’environnement ». C’est en 1993, après le sommet de la Terre à Rio, qu’est votée la « loi de base pour l’environnement », qui tente non seulement de définir une ligne gouvernementale mais également d’inclure au maximum les collectivités : associations, entrepreneurs et citoyens. C’est le deuxième Plan de base pour l’environnement, adopté en 2000, qui consacre le « passage de l’idée à l’action » et la « garantie d’exécution », avec des programmes stratégiques précis et des mesures contre le réchauffement climatique. Il sera lui-même suivi du Troisième plan pour l’environnement en 2006, qui inclut des objectifs chiffrés sur le long terme : réduction des émissions de CO2 de 25% en 2020, augmentation de l’efficacité énergétique de 35% en 2030, réduction de la dépendance au pétrole de 40 en 2030… L’objectif en 2050 était d’atteindre 70% d’énergie « propre ».

Ces plans ont eu des effets concrets. Par exemple, d’après le « livre blanc » publié par le ministère de l’Environnement, si en 2000 le Japon utilisait 1,92 million de tonnes de ressources naturelles par an, en 2011, ce chiffre est tombé à 1,33 million. La productivité des ressources (PIB/tonnes de ressources naturelles) a augmenté de près de 50% sur la même période. De même, les chiffres du recyclage de l’eau et des déchets sont en hausse.
Néanmoins, comme le souligne le professeur Ōta, « si le parti démocrate du Japon [ndlr : le parti de centre-gauche, au pouvoir de 2009 à 2012] prévoyait des objectifs ambitieux, ce programme s’appuyait essentiellement une augmentation de l’utilisation de l’énergie nucléaire. Aussi, depuis la catastrophe de Fukushima en 2011, il n’y a plus de réelle politique énergétique ». En effet, aujourd’hui, toutes les centrales nucléaires japonaises sont à l’arrêt, et le manque a été entièrement comblé par des importations d’hydrocarbures.
Le gouvernement japonais met également un point d’honneur à intégrer le peuple dans la protection de l’environnement. Des campagnes d’éducation à l’écologie et à l’étude des sciences environnementales sont menées dans des lieux très divers comme les écoles, les centres régionaux, les lieux de travail, les foyers… Il est très fréquent qu’en faisant mon footing dans le parc non loin de chez moi, je rencontre une ribambelle de jeunes enfants guidés entre les arbres par leur professeur.
Le ministère de l’environnement émet également chaque année un « livre blanc de l’écologie », un rapport annuel destiné à informer les citoyens de l’état de l’environnement au Japon et des politiques en cours destinées à sa préservation.
« De cette éducation, et de l’esprit traditionnel japonais, résulte le fait que les individus se sentent très concernés par l’environnement », souligne Hiroshi Ōta. « Un exemple en est le recyclage ; le tri entre les cinq containers est systématique chez les Japonais ». Logique conséquence de l’esprit mottainai évoqué dans l’article précédent. En effet, les années 60 voient une croissance forte, et le pays du Soleil-Levant est rapidement confronté à un problème de gestion des déchets. Ce recyclage est bien plus poussé qu’en France : combustible, papier, verre, métal et plastique propre sont traités différemment. Toutefois, le respect systématique de ce tri est peut-être moins dû à une forte conscience écologique des Japonais qu’à leur rapport général vis-à-vis des règles, bien moins souple qu’en France par exemple.
Il est à noter que la catastrophe de Fukushima a eu un effet violent sur les mentalités des populations japonaises. « Après l’accident, les Japonais ont dû faire d’énormes économies d’énergie en raison de la pénurie conséquente à l’arrêt des centrales nucléaires, par exemple l’air conditionné limité à 28°C en été et 20°C en hiver. Ce sont des pratiques quotidiennes qui sont restées encore aujourd’hui ancrées dans les esprits ».

Bataille institutionnelle
Cependant, malgré ces éléments positifs, force est de constater que la situation environnementale du Japon n’est pas rose, surtout en ce qui concerne la préservation de la nature. « Nous ne sommes plus dans cet esprit traditionnel de communion avec la nature. Si vous demandez à un Japonais, il vous dira aimer les paysages de son pays ; mais il y a un barrage à chaque rivière, toutes les côtes sont bétonnées, de plus en plus d’espèces animales et végétales sont en danger, les mers sont vidées de leurs thons, anguilles, baleines » alerte le professeur Ōta. « Le principal problème est la faiblesse de l’évaluation environnementale des projets ». En effet, si cette évaluation existe, elle est le plus souvent une caricature servant à légitimer le projet plutôt qu’à réellement prendre conscience de son coût écologique. De la même façon, l’avis de la population n’est que rarement réellement pris en compte : alors que près de 80% des Japonais sont favorables à une sortie du nucléaire, la politique actuelle est à la remise en route des centrales, pour deux d’entre elles fin 2015.
Il s’agit en fait d’une bataille institutionnelle entre deux pôles : d’un côté le ministère de l’Environnement, et de l’autre le METI (Ministère de l’Économie, du commerce et de l’industrie) et le ministère du Territoire et des transports. Il s’agit concrètement d’un rapport de force pour l’influence sur la politique nationale entre l’environnement et le développement, chacun accompagné de ses instances de lobbying (partis, ONG, associations, industrie) ; or tant dans la classe politique que dans les institutions, le côté vert de la force peine à se faire entendre.
Le modèle japonais semble être celui d’une transition énergétique rendue difficile par la dépendance au nucléaire, où les principaux espoirs viennent de l’éco-modernisation par la technologie. Si celle-ci est un point fort pour le pays, la contestation du système productiviste n’est même pas du domaine du pensable. L’écologie ne se constitue pas en système de pensée global, et l’environnement reste une variable parmi d’autres. Le Japon reste une société d’hyper-consommation, et les politiques sont avant tout tournées vers la recherche d’une croissance disparue depuis vingt ans. Mais peut-être peut-on s’intéresser à une perspective développée par Hervé Kempf dans une chronique pour le Monde, Ecologie : le modèle japonais . « En fait, ce que le Japon nous apprend, c’est qu’une économie peut connaître durablement une croissance très faible, voire nulle, sans pour autant s’effondrer. D’ailleurs, quel sens aurait, pour une société parvenue à un niveau de richesse très élevé, enserrée dans une île étroite et sans guère de matières premières, très densément peuplée, quel sens, donc, aurait une augmentation continue de l’accumulation matérielle ? […] Dans un monde dont les limites sont de plus en plus apparentes, le Japon et sa jeunesse pourraient bien révéler ce que cela signifie de sortir de la croissance ».
Laissons donc au professeur Ōta un mot de la fin qui semble finalement être un écho de notre propre situation française : « Le Japon a le potentiel technologique et culturel d’être un pays respectueux de l’environnement. Ce qu’il manque aujourd’hui, c’est la volonté politique ».
Le premier article de la série : La culture de l’écologie au Japon
[…] Les pratiques environnementales au Japon […]