Le 22 Septembre, les Allemands votaient afin de réélire leur Parlement. Une chose était presque certaine, Angela Merkel allait être reconduite au poste de chancelière. Les commentateurs s’interrogeaient déjà sur les potentiels partenaires de coalition de la CDU, et de son alliée bavaroise, la CSU. Avec 41.5% des voix, la CDU/CSU s’est largement imposée comme le premier parti du pays, malgré la crise, malgré une Allemagne de plus en plus pointée du doigt par les pays du sud de l’Europe en raison de ses exigences en matière de gestion des déficits publics. Cette reconduite d’un chef d’État, malgré les tourments des années passées, est suffisamment rare pour être soulignée.
L’effet Angela
Mais qu’est-ce qui change réellement en Allemagne après ces élections, dont la seule surprise a finalement été la vigueur du parti chrétien-démocrate ? A l’est, rien de nouveau ? Il serait peut-être hâtif de conclure à une continuité sans faille.
La mise en perspective du triomphe fédéral du parti de la chancelière est instructive : la CDU caracolait en tête des suffrages exprimés le 22 septembre dernier. Pourtant, les élections régionales des deux dernières années n’ont été qu’une série de revers pour cette famille politique, à la notable exception des élections de Bavière, Land traditionnellement acquis à la CSU. Peut-on dès lors expliquer ce succès fédéral par un effet de personnalisation des élections, ce qui est assez rare dans un pays à forte tradition parlementaire ?
Clairement, Angela Merkel semble représenter une figure non seulement respectée, mais également populaire au sein de la population comme le montrent les nombreux « sondages du dimanche »1 depuis 2009. Un effet Angela est donc probable.
Droitisation de l’échiquier politique allemand
Mais au-delà du succès de la CDU et d’Angela Merkel, un autre élément d’analyse se dégage des résultats de ces élections. On observe en effet un mouvement assez net de droitisation de la politique allemande. Certes, le FDP [libéraux] n’est plus représenté au Parlement en raison de la barrière constitutionnelle des 5%, qui empêche tout parti n’atteignant pas cette limite d’entrer au Bundestag. Cependant, si l’on additionne les voix accordées aux partis de droite, incluant la CDU/CSU, le FDP et le nouveau parti conservateur et populiste « Alternative für Deutschland » (AfD), force est de considérer que l’on atteint presque 50% des suffrages exprimés le 22 septembre.
L’AfD et le FDP n’étant pas représentés au Bundestag en raison de leur score, leur poids ne sera pas stricto sensu perceptible dans la politique menée au Parlement. Cependant, la force des partis à droite de l’échiquier politique laisse tout de même présager une droitisation de la politique qui sera menée dans les prochaines années. Cette droitisation de l’électorat devrait d’ailleurs être un argument de poids pour les conservateurs dans les négociations qu’ils vont entamer avec leur prochain partenaire de coalition, qui sera nécessairement un parti de … gauche. Enfin, les élections européennes, ayant lieu le printemps prochain, seront une seconde occasion de voir si les Allemands souhaitent réellement une droitisation de la politique.
Opposition entre l’échelon régional et fédéral
La nouvelle organisation de l’échiquier politique allemand présente un intérêt particulier : les partis de gauche restent encore très populaires lors des élections régionales. A ce titre, le Bundesrat [représentation fédérale des 16 Länder] a basculé à gauche il y a deux ans, et est désormais composée d’une majorité d’élus socio-démocrates, verts et de Die Linke. Pas de droitisation en région donc. A contrario, les résultats du 22 septembre soulignent, comme nous l’avons vu, un phénomène de droitisation marqué.
Comment expliquer ce paradoxe ?
L’effet Angela ne peut tout expliquer. Les questions traitées par l’échelon fédéral, touchant principalement à la politique européenne, au désendettement du pays, aussi bien que les lois concernant la protection sociale ou l’assurance chômage semblent cristalliser bien des inquiétudes au sein de la population. Or les Allemands remarquent que leur pays semble s’en sortir mieux que ses voisins européens. Pas étonnant dès lors qu’ils défendent par leur vote conservateur les orientations politiques choisies par les dirigeants chrétiens-démocrates, vantées par bien des observateurs en Allemagne comme à l’étranger2.
Manque d’alternative à gauche ?
Quelles sont les alternatives politiques à la CDU/CSU ?
Le SPD et son leader, Peer Steinbrück, semblent devoir payer non seulement la popularité de la chancelière, mais également et surtout le manque de vision politique de la social-démocratie aujourd’hui. Lorsque l’on observe le programme politique du SPD, force est de constater que les propositions ne font pas émerger d’alternative au projet, libéral et austère, proposé ces dernières années d’abord par Gerhard Schröder puis dont se sont emparés les chrétiens-démocrates. Le principal parti de la gauche de l’échiquier politique se retrouve sans alternative au projet désormais devenu chrétien-démocrate. Pas étonnant que les Allemands choisissent une CDU ayant traversé (avec succès) les épreuves de la crise avec à sa tête une chancelière populaire… et ayant jusqu’à présent imposé avec brio ses vues à l’échelle européenne.
Quid du parti vert ? Celui qui a de nombreuses fois constitué la troisième force politique aux élections régionales a fortement pâti de la polémique née début septembre, et portant sur les positions pro-pédophilie prises par certains de ses dirigeants dans les années 1970 et 1980. Par ailleurs, la campagne des Verts ne semble pas avoir déchaîné les passions, comme si ce parti ne parvenait plus à tirer profit de la décision allemande de sortir du nucléaire d’ici 2022 dans laquelle il a joué un grand rôle. Cela semble d’autant plus étonnant que les scores des Grünen aux élections des Parlements régionaux ces deux dernières années étaient plus qu’encourageants.
Quant à Die Linke, à la gauche de la gauche, elle ne semble pas non plus avoir su tirer son épingle du jeu, dans un pays où la précarité augmente certes mais où les données macro-économiques gardent une insolente bonne santé. Enfin, le refus des autres partis de faire une coalition avec cette famille politique laisse la gauche, à l’échelon fédéral, dans une impasse.
Vers un Bad Godesberg3 à l’envers ?
L’économie allemande se fonde en partie sur un savoir faire industriel et un tissu d’entreprises dense sachant faire valoir ses intérêts, particulièrement reconnues à l’international. Mais un autre aspect du modèle allemand est à trouver dans l’agenda 2010 mis en place par le chancelier Schröder en 2003, flexibilisant le marché du travail et réformant notamment le système d’assurance chômage et de santé tout en assainissant les finances publiques. L’un des effets de cet agenda fut de faire augmenter sensiblement la précarité… mais aussi de permettre de soutenir les entreprises durant la crise.
Quel que soit l’avis porté sur ce sujet, aucun réel bilan de l’agenda 2010 n’a pas été mis à l’agenda des débats politiques lors de ces élections par le SPD.
Dès lors, comment le parti peut-il proposer une alternative politique au chemin libéral emprunté par la CDU (et avant elle par le chancelier Schröder)? L’héritage de Gerhard Schröder et de son agenda 2010, malgré l’actuelle embellie économique, reste un héritage difficile à assurer socialement pour la gauche, car ayant un impact négatif sur la pauvreté. Pourtant, le débat est verrouillé à l’heure où de plus en plus d’économistes commencent à émettre des critiques vis-à-vis de ce modèle.
Il faut cependant reconnaître que beaucoup d’électeurs pensent qu’un tel système garantit la bonne santé de l’économie allemande. Dès lors, comment le SPD pourrait-il mettre en cause son propre héritage, régulièrement loué par les dirigeants politiques pour avoir épargné l’Allemagne d’une crise plus aiguë encore ? C’est le cercle vicieux social-démocrate.
Une question déterminante dans les prochains mois sera donc de savoir si les socio-démocrates vont enfin profiter de leur défaite électorale4 afin de dresser un bilan du modèle politique qu’ils proposent ou plutôt s’engouffrer dans les négociations de coalition avec la CDU, ce qui les empêcherait de fait de mettre à plat leurs orientations politiques. L’actualité semble pencher pour la seconde option. Il aurait pourtant été bon de questionner un modèle économique en essor grâce aux fortes exportations mais au sein duquel les inégalités augmentent et fragilisent une partie de la population dans un contexte de crise dans le reste de l’Europe. Cela aurait pu être l’occasion historique d’inscrire dans l’histoire politique allemande un Bad Godesberg à l’envers, au cours duquel le SPD aurait pu se détourner de l’héritage de Schröder.
Mais ce débat ne semble pas être à l’ordre du jour. Dès lors, la droitisation de la politique allemande peut avoir lieu avec des électeurs se renfermant sur le seul modèle, pourtant fragile, qui leur a assuré un relatif dynamisme économique ces dernières années.
Bénédicte Laumond
–
1Sonntagsfrage : tous les dimanches depuis 1997, un sondage politique est mené simulant une élection parlementaire auprès de 1000 citoyens allemands en âge de voter. Angela Merkel, depuis 2009, reste exceptionnellement populaire dans les réponses des sondés.
2 Modèle économique qui est également décrié. A ce sujet, voir l’ouvrage de Duval, G, Made in Germany : le modèle allemand au-delà des mythes, Seuil, 2013.
3 Congrès historique du SPD ayant eu lieu en 1959, au cours duquel le parti abandonne officiellement le marxisme.
4 L’élection du 22 septembre 2013 représente pour le SPD le second pire score depuis l’après-guerre (25.7%), après les élections de 2009 où le parti n’avait recueilli que 23% des suffrages exprimés.