Dimanche dernier avaient lieu des élections en Catalogne qui ont été marquées par la victoire des indépendantistes. La Souris Verte a posé cinq questions à Marta, membre des jeunes verts catalans (Joves d’Esquerra Verda) et candidate aux élections de dimanche dernier sur une liste de coalition entre Podemos, la gauche radicale et les écologistes.
1. Les élections en Catalogne dimanche dernier ont vu la victoire des indépendantistes, un score important des partis anti-indépendantistes et un faible score des partis qui n’ont pas fait de l’indépendance un thème de campagne central, comme la coalition pour laquelle tu étais candidate. Comment expliques-tu cela ?
Il y avait deux listes indépendantistes. La première est celle d’un petit parti d’extrême gauche (CUP). La seconde « Junts Pel Sí » (Ensemble pour le Oui) est une coalition qui regroupe le parti indépendantiste conservateur (CiU) et le parti indépendantiste progressiste (ERC) qui gouvernaient ensemble en Catalogne ces dernières années. Ces deux listes ont obtenu la majorité des sièges au parlement mais pas la majorité des voix des électeurs. Ils ont donc perdu le plébiscite qu’ils avaient voulu faire sur l’indépendance.
Le deuxième parti en terme de voix est Ciudadanos, un nouveau parti libéral, pro-européen, anti-catalan (ils sont contre le fait d’enseigner le catalan dans les écoles) et anti-indépendantiste.
Les partis de gauche, comme notre coalition « Catalunya Sí que es Pot » (Catalogne, oui c’est possible) qui regroupe entre autres les Verts et Podemos, ne seront malheureusement pas assez forts pour parler des questions sociales. J’ai peur que le débat parlementaire soit monopolisé par les indépendantistes et anti-indépendantistes et que les questions sociales soient complètement oubliées.
Notre coalition pense que seul un référendum peut régler la question de l’indépendance. On ne peut pas transformer une élection classique en un référendum, notamment à cause du système électoral qui fait que tou-te-s les citoyen-ne-s n’ont pas le même poids selon la circonscription dans laquelle ils votent. Aujourd’hui, les circonscriptions majoritairement indépendantistes ont plus de poids et cela joue en la faveur des indépendantistes.
Si l’on regarde le nombre de voix, les indépendantistes ont échoué car ils n’ont recueilli que 47 % des voix. Les 53 % restants sont répartis entre des anti-indépendantistes, des fédéralistes ou des personnes qui sont indépendantistes mais qui ne veulent pas d’une déclaration d’indépendance unilatérale. Les partis indépendantistes sont favorables à une déclaration unilatérale mais ils ne sont pas légitimes à le faire puisqu’ils n’ont pas réuni la majorité des voix.
Les indépendantistes voulaient que ces élections clarifient la position des catalans quant à l’indépendance mais la situation est encore plus confuse car il n’y aucune majorité claire qui se soit dégagée. On entend donc à nouveau parler d’un référendum qui serait reconnu par le gouvernement espagnol. C’est la position que nous défendons et c’est ce qui serait le plus logique pour la plupart des catalans.
2. La coalition Junts Pel Si était très hétéroclite, elle mélange des élus de droite et de gauche, avec même un ancien eurodéputé écologiste à sa tête. Sait-on quelle politique ils vont mener en dehors de la questions de l’indépendance ?
Non ! Ils n’ont pas de programme, c’est une véritable arnaque électorale. Lors du débat, l’ancien député européen écologiste Raul Römeva n’a rien dit au sujet de la corruption, des privatisations, de la pauvreté ou des politiques menées par le président sortant Artur Mas. Celui-ci sera réélu comme président de la Catalogne alors même qu’il n’a pas fait campagne comme tête de liste.
Ils ont un programme dans l’hypothèse où la Catalogne serait indépendante mais rien pour les mois à venir, pour les problèmes de la vie de tous les jours. Cette coalition n’a aucune réponse à offrir aux 20 % des habitants de la Catalogne qui vivent sous le seuil de pauvreté, aux personnes sans emploi, aux jeunes qui doivent quitter le pays faute d’opportunités. Je ne sais pas ce qui se passera dans les prochains mois.
3. Quelle est la position des écologistes catalans quant à l’indépendance de la Catalogne ?
Nous voulons décider par référendum de nos relations avec les autres régions de l’Espagne. Certaines personnes dans notre parti sont indépendantistes mais je ne crois pas qu’elles soient majoritaires. La plupart sont fédéralistes, c’est-à-dire que nous voulons rester dans l’Espagne mais nous voulons des relations différentes et des compétences étendues pour la Catalogne.
Nous voulons que ce référendum soit reconnu à la fois par le gouvernement espagnol et par les institutions européennes, parce que nous ne voulons pas quitter l’union européenne, à moins bien sûr d’un autre référendum. Ce serait la situation la plus démocratique pour les catalans.
4. Les indépendantistes se sont donné 18 mois pour parvenir à l’indépendance de la Catalogne. Cela te semble-t-il réaliste ? Quelles sont leurs chances d’arriver au bout ?
Je pense que c’est un mensonge. Beaucoup de personnes se rendent compte que tout cela ne servait qu’à maintenir les conservateurs et Artur Mas au pouvoir. Il est président depuis 5 ans, il veut y rester 4 ans de plus et doit rêver de faire mieux que l’ancien président Jordi Pujol qui était resté président pendant 23 ans.
Tout cela lui permet de distraire l’attention des autres problèmes de la vie de tous les jours et d’accuser le gouvernement de Madrid de tous les maux : « Les espagnols nous prennent notre argent, ils sont feignants alors que les catalans sont travailleurs ».
Aujourd’hui, ils ne peuvent pas se lancer dans un processus unilatéral d’indépendance puisqu’ils n’ont pas eu la majorité des voix. Il y a de fortes chances que les indépendantistes se présentent à nouveau unis aux élections générales espagnoles de décembre et cherchent ensuite à faire pression sur le gouvernement de Madrid pour renégocier le statut de la Catalogne pour plus d’autonomie sur la plan fiscal et économique, sur le modèle du Pays Basque par exemple. L’indépendance n’est pas possible sans un référendum et les indépendantistes le savent.
5. Que peut-on justement attendre des élections espagnoles de décembre ? Une alliance entre Podemos, les Verts catalans (ICV) et la gauche espagnole a-t-elle une chance de remporter ces élections ?
La coalition entre ICV et Podemos a déjà été actée. La question qui se pose maintenant est de savoir si Izquierda Unida (Gauche Unie, IU), le parti traditionnel de la gauche radicale et des communistes fera partie de cette alliance. Podemos a très peur de cette alliance parce que les citoyen-ne-s associent Izquierda Unida à la vieille politique. Notre défaite aux élections catalanes va certainement amener Podemos à réfléchir à nouveau et à finalement s’allier aussi avec Izquierda Unida.
Ensemble, nous sommes la seule véritable alternative politique en Espagne, nous pouvons chasser les conservateurs du gouvernement, mettre en place un premier ministre et un gouvernement progressistes, et enfin autoriser les catalans à voter par référendum.
D’un côté, les indépendantistes catalans de Junts Pel Si ne sont pas prêts à la discussion, ils aiment la confrontation avec le gouvernement de Madrid. De l’autre, Mariano Rajoy, l’actuel premier ministre conservateur, décrit les catalans comme des fous, voire comme des terroristes, parce que nous sommes indépendantistes. Et cette situation n’est pas bonne car elle nourrit la colère et la tension entre catalans et espagnols. Les conservateurs catalans entretiennent cette confrontation parce qu’elle leur profite, parce que les citoyen-ne-s catalan-e-s voient le président catalan de manière positive, comme le défenseur de leurs intérêts, alors qu’en réalité sa politique est nulle.
Cette confrontation profite à la fois aux indépendantistes et aux unionistes, comme on les appelle. Les élections catalanes ont été un très bon symptôme de cela avec les bons scores des indépendantistes et des unionistes.
Ce scénario est dramatique et j’espère que les citoyen-ne-s seront plus modérés en décembre et qu’ils voteront pour une liste qui promeut le dialogue, qui veut que la situation progresse, que l’on sorte de cette opposition stérile et que l’on traite enfin les questions importantes comme la lutte contre la misère et la pauvreté.
Propos recueillis et traduits par Antoine Tifine
Entretien réalisé le 28 septembre 2015.